Dès
lors, il s’agira pour cette fois-ci, en attendant le prochain
film de la cinéaste (il y a ce projet de longue date d’une
adaptation d’Une vieille maîtresse d’après Barbey d’Aurevilly)
d’aller chercher un mouvement de pensée, une parole singulière,
non pas sur les rares écrans de la ville qui joue encore son
dernier film, mais du côté de l’écrit un récit de vie et
de cinéma. Tout d’abord, il s’agit de saluer la nouvelle orientation
éditoriale des Cahiers du Cinéma quant à leur collection Auteurs
: la couleur est de mise et l’iconographie riche témoigne
d’un réel souci de montrer à voir, comme à lire, une part
de l’intime. Découvrir le visage en cœur de la jeune Catherine
à 18 ans (page 19) nous fait irrésistiblement plonger dans
le Paris truffaldien, celui où Antoine Doinel tentait de voler
quelques baisers à Marie-France Pisier (L’amour à vingt
ans, en 1962, film à sketches de Renzo Rossellini, Shintaro
Ishimara, Andrzej Wajda et Marcel Ophuls.) Si la voix et la
pensée de Breillat est connue, car largement diffusée dans
les médias (elle ne refuse jamais le dialogue) paradoxalement
son corps reste inconnu et comme extrait de l’image. De fait,
c’est du côté de la fiction, plus précisément de l’autofiction,
que nous pourrons combler ce déficit de représentation : Sex
is comedy, sorti en 2002 relevait de l’autobiographie
de la cinéaste en action, où Anne Parillaud devenait Catherine
Breillat dans une mimésis quasi magique.
Dans
son étude, Claire Clouzot a choisi de suivre l’évolution d’une
femme, à travers une lecture fine de son œuvre, tout en scandant
ce récit de création d’éléments de biographie, et où, in fine,
la lecture devient un réel plaisir romanesque. Précise, avec
une seule (?) erreur localisée page 79 (Carline Ducey ne fut
pas repérée par Breillat, elle fut sublimée dans Romance,
elle avait déjà joué chez Cédric Kahn dans Trop de
bonheur), Claire Clouzot adopte un juste regard, celui
d’une critique qui ne cède point à l’admiration hagiographique,
tout en sachant relever les limites et les excès d’une cinéaste
radicale (« un monde sépare la maladresse d’Une vraie jeune
fille de la plénitude de Romance et du rituel magique
d’Anatomie de l’enfer (…) Sex is comedy est
un film moins intéressant que les neuf autres du Décalogue.
La mise en scène y est un peu pâle ». Avec comme fil rouge
l’engagement d’une critique femme pour le travail singulier
d’une cinéaste femme, de cette volonté de « franchissement
des tabous », « d’une cinéaste à la fois scandaleuse et
sans importance ». Cette dualité du chaud et froid, du
sublime au trivial, du porno au roman photo parcourt toute
l’œuvre de Breillat comme le choix thématique des chapitres
( La virginité, une malédiction, Les visages plutôt que les
sexes, Le plaisir et la mort, Du trivial au divin etc.) et
dont l’œuvre entière formerait outre un décalogue, une trinité
de la femme. Et de fait assez proche, non pas seulement de
Pialat (« On a beaucoup dit de moi que j‚étais une Pialat
femme. Comme Pialat, je ne fais pas partie du cinéma hexagonal »
etc.), mais d’un autre cinéaste américain, lui aussi travaillé
par le crime et la transcendance, Martin Scorsese.
Et si Catherine Breillat n’était qu’une cinéaste de la morale
?
« J’aime la transcendance, et la transcendance, c’est une
sublimation. Je pense qu’il n’y a que cela d’intéressant de
toute façon. »
« Moi je considère que filmer le sexe transfigure les
femmes vers le haut. Moi, je les vis comme des déesses. »
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La parution d’un autre ouvrage d’un universitaire
de Caen, David Vasse, critique de cinéma à Eclipses
et Vertigo. Catherine Breillat, un cinéma
de la transgression, Ed. Complexe / Arte, 280
p.
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Titre : Catherine Breillat, indécence et pureté
Auteur : Claire
Clouzot
Editeur : Cahiers
du Cinéma
Collection : Auteur
Nb pages : 192
Photos : 96 couleur
A savoir : Un abécédaire
regroupant thématiquement les propos de la cinéaste,
ainsi qu’une filmographie et bibliographie complètent
l’étude de Claire Clouzot. Toutes les citations
en italiques sont extraites du livre.
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