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L’énigme du Chicago Express
oscille entre polar et film noir, reprenant un schéma légendaire
du film à suspense, puisque tout le film se déroule dans
un train en marche. Certains passages ne sont pas sans rappeler
Désirs Humains de Fritz Lang, ou Une femme
disparaît d’Alfred Hitchcock. Le train (et ses compartiments)
est le lieu cinématographique par excellence, sorte de métaphore
de la pellicule qui défile avec ses fenêtre éclairées dans
la nuit. Lieu à la fois clos et labyrinthique, où la répétition
du même entraîne un troublant vertige, le train permet la
disparition tout comme l’apparition alors qu’il empêche
le geste, bloquant le corps dans des couloirs étroits (le
policier obèse dit lui-même que les trains ne sont pas faits
pour les gros), dans des couchettes trop petites, l’enfermant
dans des boîtes toutes identiques.
Le train est le lieu de la rencontre alors qu’on aimerait
qu’il soit celui de l’évitement : entre deux wagons,
on aperçoit l’ennemi : comment alors lui échapper ?
Se glisser dans une cabine revient à aller à la rencontre
de l’autre, cet inconnu : le policier se trouve nez
à nez avec celle qu’il est censé protéger mais dont il ignore
l’identité.
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Le train est le lieu de l’anonymat
comme celui de l’identité exacerbée. A chacun est attribué
un numéro, celui de la cabine qui deviendra son espace privé
(jusqu’à ce qu’un étranger y pénètre sans frapper), pourtant
chacun doit montrer patte blanche, prouver son identité,
qui est son droit à accéder à cet espace à la fois commun
et personnel. Quel lieu mieux que celui-là pourrait-il être
le lieu du film de Fleischer, où les identités sont interchangées,
où il ne faut pas se fier aux apparences, où une femme de
gangster ressemble à une femme du monde, alors qu’une femme
flic pourrait être une prostituée ?
Le cinéaste se joue de son spectateur tout comme la police
se joue des gangsters et de son propre agent. L’Enigme
du Chicago Express défie les lois du polar autant qu’il
les utilise, proposant au spectateur une atmosphère sombre,
des bons et des méchants, un voyage de nuit, un lieu idéal
pour la traque, mais imposant une alternative aux clichés
habituels. Le policier, héros du film, est le double du
spectateur, parcourant les couloirs du train, exécutant
les ordres de son supérieur/réalisateur, naïvement, aveuglément,
jusqu’à ce que toutes les ficelles soient dévoilées. Le
personnage comme le spectateur est alors spolié de sa capacité
à déjouer les pièges que les images lui tendent. Le film
remet chacun à sa place : le spectateur n’est pas le
réalisateur.