La séquence initiale est ainsi construite
en trois parties distinctes : l’ouverture de la scène
permet de mettre en évidence par ses dialogues combien le
lieu comme son propriétaire ne présente aucun intérêt, l’entrée
en scène de Belinski puis de Cluny instaure un climat de
dangerosité excitante qu’entretient le duo. Enfin, l’arrivée
de l’oncle de Cluny vient briser cette sexualité de plus
en plus débridée. Le personnage de l’oncle vient rappeler
les différences sociales des personnages.
Et le dialogue chez Lubitsch est là pour créer cette distance
entre la situation générale de la pièce et la situation
sociale de ses personnages. Ainsi l’angoisse que représente
Hitler pour les personnages est bien moindre comparé au
problème écrasant que représente l’absence de smoking dans
la garde-robe de Belinski, quelques séquences plus loin.
Chez Lubitsch, comme chez Chabrol, les scènes de repas ont
leur importance. Deux scènes de repas, dans Cluny Brown,
se répondent. La première se déroule chez les hôtes de Belinski,
où Cluny travaille comme domestique. On y comprend très
vite, par le mutisme des domestiques, que la parole appartient
aux maîtres. C’est le règne du rapport autorité/obéissance.
Mais la présence de Belinski et Cluny vient bouleverser
l’ordre établi. D’abord visuellement, lorsque Cluny se penche
pour se confier à son maître, c’est une façon sibylline
de montrer que la classe inférieure donne ses ordres à la
classe supérieure. Belinski, quant à lui, se lève pour parler
d’homme à homme au majordome. C’est l’injure suprême pour
les maîtres comme les domestiques.
Autre repas, autre mesquinerie mise
en exergue. Cette fois-ci, le personnage du pharmacien de
campagne par sa constipation psychique très affirmée, retient
l’attention du spectateur. Le milieu change tandis que l’atmosphère
d’étouffement persiste. Le gag moliéresque de « l’appel
de la tuyauterie » vient souligner de façon visuelle
et sonore l’idée de constipation psychique du lieu et de
son propriétaire. Car finalement tout fait langage chez
Lubitsch, les lumières, les décors jusqu’à la couverture
du livre écrit par Belinski, à la toute fin du film.
L’ironie de Lubitsch y éclate ! Jean Douchet, dans
« L’art du plaisir », explique en effet, que la
haine de Belinski pour le rossignol (montré sur la couverture
du livre) vient de l’idée que le rossignol, symbole du plaisir,
est paradoxalement par la répétition de ses cris, son antithèse.
La « Lubitsch Touch » consiste ici à travers l’évocation
du livre « Le Meurtre du Rossignol », suite du
premier roman, de montrer que malgré la réussite évidente
de Belinski, celui-ci n’a pu s’empêcher de rentrer à son
tour dans ce phénomène de répétition tant décrié.
En bonus :
L’art du plaisir de Jean Douchet (20 min), Les
touches de Lubitsch, avec les commentaires de Arnaud
Despleschin, Noémie Lvovsky, Claude Chabrol et Pierre Salvadori.
(15 min), La ‘Lubitsch Touch’ par Bernard Eisenschitz
(15 min) et la Bande annonce originale
Titre
: La Folle ingénue Réalisateur : Ernst
Lubitsch Scénario : Samuel
Hoffenstein et Elisabeth Reinhardt Acteurs : Charles
Boyer, Jennifer Jones, Peter Lawford, Helen
Walker, Reginald Gardiner, Reginald Owen, C.
Aubrey Smith, Richard Haydn, Margaret Nannerman Producteur :
Ernst Lubitsch Musique originale :
Cyril J. Mockridge Chef-opérateur :
Joseph LaShelle Format image : Full
Screen (Standard) - 1.33:1 Langues et formats sonores
: Anglais Sous-titres : Français Éditeur : Carlotta
Films Présentation : Snap
Case Durée du Film : 100
mn Zone : Zone 2