De même, la psychologie évolutionnaire
note que la notion de beauté (au combien sujette à débat) peut
se fonder sur certains universaux : symétrie, lignes parallèles
et perpendiculaires, scènes colorées et foisonnantes. La symétrie,
très présente dans la physionomie des êtres vivants, est la
promesse d’une proie, d’un congénère ou d’un ennemi. Nous sommes
donc instinctivement très sensibles à ce signe. Les lignes parallèles
et perpendiculaires, antinaturelles, évoquent la présence humaine,
la perspective d’un refuge ou d’un clan ennemi à éviter. Quant
aux scènes colorées et foisonnantes, elles sont susceptibles
de receler plus de gibier qu’un désert monochrome. Mais attention,
il faut se méfier de ces critères, car pour autant qu’ils puissent
asseoir des jugements esthétiques, ils sont toujours à même
d’être infirmés par le poids colossal des habitudes culturelles
(il est permis de préférer les jardins à l’anglaise à leurs
homologues français et un désert peut devenir un lieu apaisant
d’une grande beauté plastique). On prendra donc garde de ne
pas dresser une grille d’analyse esthétique ou critique sur
ces seules valeurs, si universelles qu’elles puissent être.
Dernier exemple, le plaisir éprouvé face à une image serait
fonction de quatre préférences, quatre cadres appartenant notre
pré-câblage cognitif : Cohérence (facilité pour se repérer),
Lisibilité (elle garantit de trouver son chemin dans un paysage),
Complexité (foisonnement comme promesses de ressources vitales),
Mystère (comme signe avant-coureur de découvertes satisfaisantes,
comme stimulus fait à notre besoin d’exploration). Là encore,
on tempérera le pouvoir de ces critères par l’impact des cultures
et sociétés sur l’esprit humain.
Et outre une description précise des mécanismes de la vision
et de l’audition, ce sont des thèmes aussi variés que le suspense,
le cadrage, le montage, les métaphores stylistiques ou la perception
du temps qui sont abordés dans cet ouvrage.
On sort donc de cette lecture un peu
étourdi (avouons que le sujet pour passionnant qu’il soit n’est
pas des plus aisé et qu’on verra peu ce livre sur les plages
cet été) mais surtout enrichi. Si notre cerveau infère la 3°
dimension dans l’image plane, si le cinéma octroie la 4° dimension
du temps aux images fixes, Cinéma et cognition offre
cette dimension considérée comme la 5° par Deleuze : celle
de la pensée. Et c’est tout le cinéma, ce sont tous les films
qui semblent gagner en profondeur, en intérêt, devenant plus
cruciaux que jamais, plus vivants pour le cinéphile, plus indispensables
pour l’homme.
Voici pourquoi on conseillera vivement ce livre, voici pourquoi
on écrit un article à son sujet deux ans après sa parution,
car les sciences cognitives sont un apport majeur autant que
négligé. Laurent Jullier observe d’ailleurs : « Les
sciences cognitives, et surtout la biologie évolutionnaire,
m’apparaissent comme de la dynamite sur le plan politique, à
égalité avec l’approche sociologique. […] Cela dit, à l’échelle
d’une société comme la société française, cette dynamite a la
taille d’un pétard ; les livres de biologie évolutionnaire
ne sont pas traduits[…traduits donc à ceux qui, dans la
lignée de Nietzsche et Foucault, aiment à se penser en artificiers.
Titre : Cinéma et cognition Auteur : Jullier
Laurent Langue : Français Éditeur : L'Harmattan
(1 juin 2002) Format : Reliure inconnue Dimensions (en cm) :
14 x 22