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 UNE CERTAINE PRATIQUE DES FILMS
 
 Dans son dernier ouvrage, La Cinéphilie, invention 
                  d’un regard, histoire d’une culture, 1944-1968, Antoine 
                  De Baeque, auteur entre autres d’une biographie de Truffaut, 
                  écrit l’histoire de l’âge d’or de la cinéphilie française. Au-delà 
                  d’un simple retour sur l’évolution des Cahiers du cinéma 
                  et sur les prémisses de la Nouvelle-Vague, De Baeque fait le 
                  récit d’un processus de légitimation qui permit au cinéma d’acquérir 
                  un statut privilégié en France, à une époque où l’émulation 
                  autour des films faisait partie prenante de la vie intellectuelle.
 
 
 
 
                    Persévérance. Le livre d’Antoine 
                  de Baeque s’achève sur un retour sur le livre de Serge Daney, 
                  ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et critique 
                  à Libération dans les années 80. Persévérance, non pas 
                  face à une soi-disant mort du cinéma, mais face à la disparition 
                  d’un regard sur les films. D’emblée, la démarche d’Antoine de 
                  Baecque s’inscrit dans une période historique, dans une évolution 
                  de l’histoire du cinéma, où la cinéphilie se donne à vivre au-delà 
                  de l’expérience de l’amalgame de films et d’images (dont on 
                  serait d’ailleurs bien plus abreuvé de nos jours), comme une 
                  attitude active face à ceux-ci, à une époque où un malheureux 
                  travelling avant sur un interné de camp de concentration pouvait 
                  faire dire à Rohmer que tel film est « abject » et 
                  à Daney que Resnais, dans Nuit et Brouillard, sut si 
                  prendre avec bien plus de décence. 
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 Parler de la cinéphilie ne revient pas pour De Baeque à entreprendre 
                  une étude strictement académique sur une habitus culturel parmi 
                  tant d’autres, tel un sociologue qui se pencherait sur l’adolescent 
                  et les jeux vidéos ou un historien qui rédigerait une thèse 
                  sur les jeux de société dans les salons privés parisiens au 
                  XIXème siècle. La démarche est pourtant similaire : 
                  exploiter les archives (les fonds Truffaut, Bazin, Sadoul, Langlois), 
                  parcourir les revues de l’époque (L’Ecran Français, Les Cahiers 
                  du cinéma, Positif, Les Lettres françaises), retracer l’évolution 
                  chronologique pour dresser un tableau presque généalogique d’une 
                  pratique qui trouverait ses origines dans les ciné-clubs d’après-guerre 
                  autour de la figure d’André Bazin, futur fondateur des Cahiers 
                  jaunes.  Spécificité du travail de De Baeque : expliquer 
                  comment le cinéma a obtenu, grâce à la cinéphilie, ses lettres 
                  de noblesse et fut considéré comme un art à part entière, voire 
                  l’art du 20ème siècle pour certains ; quelle 
                  fut l’influence des cinéphiles sur l’évolution du cinéma et 
                  sur notre perception de l’histoire du cinéma. Pourquoi par exemple 
                  Hitchcock, alors méprisé par beaucoup et dont les films étaient 
                  souvent considérés comme de simples astuces techniques, sans 
                  thème particulier, mais motivés par un goût du morbide, acquit 
                  la notoriété qu’on lui connaît ; comment s’est opérée la 
                  césure dans le cinéma français à partir des années 50, du « cinéma 
                  de Papa » vers la Nouvelle Vague.
 
 
 
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