La Nouvelle Vague, et plus particulièrement
les critiques des Cahiers du cinéma, semblent effectivement
occuper dans le livre une place prépondérante, ses protagonistes
ayant davantage marqué la critique avant de passer à la réalisation.
Même si plusieurs chapitres sont consacrés à d’autres publications
telles que les Lettes françaises, ou à d’autres critiques,
le fil conducteur de ce livre reste l’évolution des Cahiers,
la mise en place de la politique des auteurs dans un premier
temps jusqu’à l’ouverture aux sciences sociales et l’éviction
de Rohmer à la tête de la revue au début des années 60. Cet
aspect de la cinéphilie reste la moins surprenante, la plus
attendue, bien que la documentation à l’appui réussisse à nous
éclaircir sur des moments phares tels que la rédaction d’ « Une
certaine tendance du cinéma français » de Truffaut,
l’entretien que celui-ci réalisa avec Hitchcock et la sortie
de la politique des auteurs.
A cette généalogie de la cinéphilie française, voire parisienne,
viennent également se greffer des portraits de critiques dont
la contribution à l’émulation autour des films fut considérable
mais qui furent, à tort ou à raison, évincé par l’Histoire.
C’est alors que le livre de De Baeque prend tout son relief,
au-delà du souvenir de ces classiques que sont Bazin, Truffaut,
Godard, Rohmer et Rivette. Orientations politiques, choix
esthétiques, parcours académiques et tempéraments des uns
et des autres nous font revivre l’esprit du temps, le climat
intellectuel de l’après-guerre mais aussi les différentes
façons d’être critiques de cinéma. En tant qu’idéologue qui
officiait aux Lettres françaises après l’ancrage définitif
de la revue à l’extrême gauche, Georges Sadoul fut une figure
emblématique de l’intellectuel communiste et stalinien qui
n’eut aucun scrupule à renier le cinéma hollywoodien, alors
vénéré par les hitchcocko-hawksiens pour qui la mise en scène
devait révéler une vérité du réalisateur, contrairement aux
films de scénaristes à la française. Hollywood n’était pour
Sadoul que déchéance et seul un cinéma soviétique à thème,
engagé, ne pouvait constituer une alternative valable. Au-delà
du cinéphile, De Baeque nous dresse également un portrait
de l’historien érudit, de l’intellectuel communiste engagé
qui fut amené, comme beaucoup d’autres camarades, à effectuer
plusieurs voyages au pays du « Petit père des peuples »
et qui n’hésita pas à amender son Histoire générale du
cinéma en fonction des nécessités idéologiques. La polémique
autour du cinéma stalinien fut à l’époque un élément constitutif
de la cinéphilie française qui força chacun à se positionner.
La cinéphilie comme positionnement actif trouva à se manifester
entre autres lors de la « crise fullerienne », au
sujet de certains films de Samuel Fuller défendu par Truffaut
et les « jeunes turcs » , qui firent dire à Sadoul
que ces derniers étaient essentiellement « anti-rouges
et néo-formalistes », une accusation sans lien apparent
mais pleine de sens à une époque où l’accent porté sur la
mise en scène au dépend d’un engagement thématique, généralement
de gauche, représentait un désengagement politique suspect.