Au-delà des prises de positions, esthétiques,
politiques (voire souvent les deux à la fois) Antoine De Baeque
fait ressortir la singularité des différentes écritures cinéphiles
de l’époque. L’exemple le plus édifiant est celui de Roger Tailleur
de Positif, dont De Baeque décrit le style de la façon
suivante : « Pour travaillée, enlevée, drôle, érudite
qu’elle soit, l’écriture de Tailleur ne parvient jamais à s’élever
au-dessus de l’objet dont elle traite. Elle ne donne pas de
grain à moudre, peu d’idées à débattre, de pensées à faire siennes,
de paradoxes à combattre, à discuter ou à adopter. […] Il lui
manque les excès des causes perdues, la mauvaise foi des combats
paradoxaux ou, plus simplement, l’électricité un peu désordonnée,
mais agissante, des idées qui s’unissent les unes aux autres
pour faire naître une idée du cinéma ». A l’opposé
d’un Truffaut, polémique et parfois peu soucieux d’éthique dans
ses démarches, comme quand il demanda des scénarios à Pierre
Bost pour en faire une critique en règle.
De Baeque nous fait également découvrir des personnalités décalées,
tel que Bernard Dort, critique de théâtre, en marge d’une cinéphilie
« cinéphilocentrée », oublié car trop peu attaché
à une seule rédaction ou absent de la publication qui donnait
le ton à une certaine époque, mais non moins productif pour
autant. Avec pour ambition d’établir une véritable « critique
de gauche », il se démarqua des « jeunes turcs »
en écrivant dans des publications fortement ancrées à gauche
et en manifestant un intérêt pour le cinéma soviétique, bien
que sans commune mesure avec l’adhésion inconditionnelle de
Georges Sadoul. Son antagonisme avec la critique de droite l’amènera
à se désolidariser du hitchcocko-hawksisme qui l’avait pourtant
fortement marqué durant ses années de jeunesse, en réaction
au cinéma français vieillissant.
En marge de ce chapelet de références
biographiques et des émois polémiques, Antoine de Baeque consacre
un chapitre de son ouvrage à l’érotisme au cinéma, plus particulièrement
à la femme, éventuellement à la fascination pour la star,
féminine ou masculine. Au-delà des digressions anecdotiques
sur la part de fétichisme qui anime tout cinéphile, l’auteur
se penche sur l’évolution de la représentation de l’érotique
féminin au cinéma, depuis la censure hollywoodienne face à
laquelle les réalisateurs ne tarissaient jamais de subterfuges
pour évoquer la chair par des moyens indirects, à l’apparition
de la femme moderne chez Bergman ou Vadim. D’Harriet Andersson
chez le premier (Monika) à Brigitte Bardot chez le
second (Et Dieu créa la femme), De Baeque explique
le paradoxe que certains spectateurs de l’époque ne surent
comprendre, trop occupés qu’ils étaient à faire remarquer
que dans ces films modernes, ils sont toujours au lit !
« De Baeque nous explique que la femme exhibée du cinéma
moderne, parce que « libérée du fétichisme de la star »,
s’affiche là comme une être libre du jugement d’autrui, donc
moins saisissable que cette pin-up dont le moindre coin d’épaule
dévoilé suffisait à suggérer l’abandon au désir masculin.