En revanche, comme
souvent, la période du muet est sacrifiée, là aussi sans doute
en raison du suivisme de Télérama par rapport à la programmation
télévisuelle. Ainsi, Carmen, de Feyder, diffusé il
y a quelques mois sur Arte, est-il présenté, alors que Crainquebille
et Visages d’enfants sont absents. De même, quelque
Murnau, Sjöström, Epstein, L’Herbier ou Dans la nuit de
Vanel sont-ils présents, mais tant d’autres (L’Aurore,
pour ne citer que l’exemple le plus frappant) sont absents !
La tâche est ardue certes, mais constater que des films signés
Nathalie Delon, Julie Delpy, Bruno Delahaye et Grégoire Delacourt
sont présents alors que Louis Delluc et Germaine Dulac ne
figurent nulle part est quelque peu dommageable au sérieux
de l’entreprise, sans vouloir mésestimer l’importance des
premiers noms cités.
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En ce qui concerne
le cinéma bis, l’apport est-il plus satisfaisant ? Indéniablement,
un effort a été fait pour le prendre en compte. Mais, justement,
cela sent l’effort, la rédaction ne semblant guère encline
à endosser l’éloge de films marginaux. « Nul mais jubilatoire »,
est-il ainsi écrit du seul film d’Ed Wood introduit (Plan
9 from outer Space), qui ne se voit attribué aucun T.
L’exemple du Retour des tomates tueuses, mis en avant
par Télérama pour montrer son éclectisme, est symptomatique.
Alors qu’une notice très favorable à ce « délire pur
jus » avait paru dans l’hebdomadaire (n°2795, 6 août 2003 :
« George [Clooney], tu nous avais caché à quel point
les tomates tueuses étaient juteuses. »), la rédaction
de la notule du Guide à été confiée à une autre collaboratrice,
au détriment d’un film « au-delà du grotesque »
(« les films d’Ed Wood, à côté, c’est Bergman ! »).
Le changement d’auteur trahit ici une politique délibérée
d’éreintage des « petits films », qui servent parallèlement
la promotion de l’ouvrage, Télérama gagnant de ce fait
sur les deux tableaux (absence de sectarisme dans le choix
des films recensés ; sérieux dans l’évaluation et l’attribution
des cotes), au risque d’apparaître quelque peu hypocrite.
De même, hormis le Saló de Pasolini et l’Empire
des sens d’Oshima, cela va de soi, les quelques autres
films à caractère érotique sur lesquels Télérama condescend
à se pencher sont promptement exécutés, y compris l’inévitable
Emmanuelle, film dont nous n’entreprendrons pas la
réhabilitation, mais qui n’a toutefois rien à envier à ce
que Pierre Murat écrit des Mille et une nuits de Pasolini :
« il filme, surtout, la beauté des corps adolescents
et des paysages superbes. C’est déjà ça. » Christine
Boisson toute jeunette, n’est-ce pas « déjà ça » ?
Et à quoi bon inclure deux films récents de Jean Rollin si
c’est pour écrire que « la naïveté qui faisait le
charme (léger) des films de Rollin dans les années 70 s’est
évaporée. » Pourquoi ne pas parler de ceux-là au
lieu de descendre ceux-ci ? N’est-il pas somme toute
plus honnête d’ignorer complètement Jess Franco ou Russ Meyer,
malgré le pluralisme affiché ? Quant au cinéma pornographique,
critérium suprême en matière d’ouverture d’esprit, il est
rigoureusement banni. Télérama n’est plus depuis longtemps
distribué qu’à la sortie des églises ou dans les paroisses,
comme son ancêtre Radio-Cinéma-Télévision, mais la
pudibonderie demeure ! Seul Baise-moi, scandale
récent aidant, bénéficie d’un traitement de faveur, le rédacteur
en chef Pierre Murat s’acquittant lui-même de l’obligation
de consacrer une assez longue notule à « cette petite
chose ».
Verdict : procurez-vous cette édition si vous ne possédez
pas la première ; ou attendez la suivante pour voir si
Télérama évolue vraiment.
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(1) : Dix noms nouveaux apparaissent,
un disparaît : on nous permettra de regretter
que ce soit celui du poète et critique Petr Kral.
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Titre : Le guide du cinéma chez soi
Auteur : Collectif
Editeur : Telerama
Hors-Serie
Nombre de pages :
1391 pages
Format : 19 cm
x 24 cm
ISBN : 291492701
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