Gummo
nous a laissés choir sur le bord de l'autoroute du soleil
jauni du septième art. Julien Donkey boy nous
cueille à point pour la gerbe d'après insolation,
d'après surexposition. Le géniteur de Kids,
ce film qui nous veut vraiment du bien, lui, nous botte le postérieur,
nous fait vaciller de notre foutu trône de certitudes
fictives, réelles par extension. Il effectue son job
plus que convenablement. Avec un poing américain en guise
de caméra. Il en va de même ces temps-ci pour l'archi-attaqué,
parce que très irrespectueux des lois du milieu, Lars
Von (Trier). Depuis Cannes, où Dancer in the dark
a été palmé d'or en mai dernier, une poignée
de petits soldats servant a priori la cause de l'outrance formelle
et de la bousculade des codes (en général, ils
n'ont pourtant guère, et à raison cette fois,
braillé des louanges sur le compte de Harry, le
movie mou de Moll) mitraillent le danois mal poli. Et pourtant,
l'impolitesse et l'irrévérence sont des traits
de caractère qui, quand ils sont utilisés avec
intelligence, se révèlent être des attributs
olympiques. La fronde s'est donc organisée. Au sein des
différentes équipes de rédaction, y compris
la nôtre, la colère est montée crescendo.
Les clans se sont petit à petit formés. Les pro
et les anti pour simplifier.
Et la meute belliqueuse
d'aboyer des sentences ultimes telles que : "Lars Von Trier
est un salaud". C'est leur plus grand droit. C'est aussi
leur choix. Le "salaud" en question se voyant ravaler
la façade sémantique par le terme de "manipulateur".
Question : que demandons-nous, qu'exigeons-nous d'un cinéaste
si ce n'est de nous tendre la corde, de nous pointer un revolver
sur la tempe? De nous manipuler et de nous faire chanter ("tu
me suis dans ma démarche, ou je te flingue")? Précision
: il n'est pas question de se pâmer benoîtement
devant la comédie musicale de Lars Von Trier dont certains
organes sont, nous devons le reconnaître, atteints par
une encéphalopathie spongiforme pudique et puritaine.
Inciter le spectateur à la pendaison filmique - ledit
spectateur, est-il nécessaire de le rappeler, n'est
pas sanglé par une œuvre : il peut se libérer
à sa guise de ce qu'il pourrait considère comme
une prise en otage frictionnelle si ce qu'il voit outrepasse
ses principes existentiels (ou déontologiques s'agissant
d'un critique) - est un acte salutaire. A sa façon,
sans doute un chouya surestimée, l'instigateur du Dogme
95 propose une alternative à l'inquiétante anorexie
narrative, à la stupéfiante disette diégétique
alimentée par bon nombre de ses collègues qui
eux-mêmes, à l'exception récente de la
jeune Coppola, du somptueux Desplechin et de l'irruption imminente
du duo épineux Obadia-Chervier avec l'hormonal Du
poil sous les roses, s'embourgeoisent dans des schémas
rodés, petitement huilés. Prière de clouer
le bec à la dissidence, à la contestation des
paradigmes.
Dancer in the dark s'extrait du troupeau. Forcément,
ça emmerde car, pour peu qu'on ait le courage de remiser
ses acquis sur l'histoire de Selma (le personnage de Björk)
ou sur l'emploi apparemment aisé de la comédie
musicale par Von Trier, le film nous pousse à nous
ratiboiser, à nous scalper, à nous mutiler cérébralement.
L'excipit de ce musicals sado-maso installe le réalisateur
des Idiots à la première marche du podium
des salauds. Oui, mais des salauds qui ont la classe des chieurs
de première. Refuseront le retournement de situation
fatal de Dancer... ceux qui, sans vouloir l'admettre
bien entendu, ont sans doute baissé les bras, ployé
devant la vermine du systématisme, du formatage. Ces
moutons de Panurge qui auront dans leur majorité bellé
deux ans auparavant devant le monument de démagogie
érigé par cette ordure - rentrons dans la logique
lexicale de ces moralisateurs d'un autre temps - de Peter
Weir.
Dans le plus qu'idéologiquement
douteux Truman Show, intentionnellement bien vu au
demeurant, le réalisateur se saborde hara-kirisant
son esquisse de critique de la société de
surveillance et, par là-même, posant avec précaution
son public chéri sur un matelas de coton, de peur
de trop le heurter. Proposer un parallèle entre le
Weir et le Von Trier peut sembler saugrenu; ils se dialoguent
pourtant dans leur construction. Là ou Truman capote,
c'est dans son issue hypocrite et imberbe. Alors que Dancer...
chorégraphie radicalement sa propre mise à
mort dans ses spasmes conclusifs. Il n'hésite pas
à se suicider en somme. C'est abject, mais c'est
bon. Björk et Von Trier avaient donc tout à
gagner dans leur union houleuse : les partitions complexes
de l'une, quoiqu'un peu moins hermétiques que ses
précédentes compositions, et les fausses pistes,
les fausses notes de l'autre ne pouvaient que se fondre
en un alter-ego, un alter-écho. Et l'écho,
c'est bien connu, se propage en un très souvent justifié
: "Bande de c..."