"Il fallait bien que ce monde change". C'est ainsi que
Le Pacte des loups s'introduit dans nos esgourdes, sodomise
agréablement nos pupilles de gamins en pleine excroissance
de cécité onirique. Le monde en question / ligne
de mire, celui qui allait déstabiliser Louis XIV, ressemble
à bien des égards à celui qui nous a vus
naî tre. Au confluent de toutes les mascarades politiques,
des complots de tout acabit, au croisement de foutages de tronche
éhontés, de couleuvres à bouffer jusqu'à
la gerbe (Joey Starr n'a pas encore rendu les armes). Ce monde,
c'est celui, entre autres, de Jean-Claude Méry et d'Alfred
Sirven. Des romans passionnants à ingurgiter mais qui
ne sont pas sans laisser quelques cicatrices au cœur. Aux âmes
citoyennes qui ronronnent en chacun de nous. "Il fallait
bien que ce monde change". Putain ! Grand temps que les
interviews adipeuses d'Alain Duhamel soient anesthésiées
et les interrogatoires furieusement poilus de Marc-Olivier Fogiel
enfin pris pour ce qu'ils sont véritablement, à
savoir les manifestations exaspérées d'un enfant
visiblement meurtri par le bordel ambiant, agacé par
une vie.com qui, ouf, ne va pas tarder à étouffer.
Promis, nous à Objectif Cinéma, on restera, quitte
à se faire opérer du cynisme dont certains internautes
manifestement ennemis d'une sémantique aux abois nous
accusent. L'amour immodéré que nous avons pour
cette garce de vie sera notre prise de courant, et, en cas de
panne de secteur, notre groupe électrogène.
Christophe Gans est notre
possible alter-ego. Comme lui, nous militons pour que "ce
monde change". Pour que Chirac se rétame sur un
tapis de pommes et ne repasse pas en 2002, en somme. Problème,
la pensée gansienne est tellement en avance sur son
temps décourageant qu'il faudra, malgré les
liftings en marche douce mais martiale, plusieurs décades
à nos intellectuels de la gauche pinard pour réaliser
à quel point son travail de virtuose sur Le Pacte
des loups est un grand pas pour l'humanité. Depuis
les premières projections de presse jusqu'à
la sortie en fanfare de l'engin (initialement prévue
pour le mois de novembre 2000 : on a alors invoqué
des problèmes maousses au niveau du montage), la chasse
à cour est montée en gradation. Si une grande
majorité des journalistes s'accordait début
janvier à reconnaître les qualités copieuses
de l'ensemble, plusieurs brebis galeuses, lecteurs soi disant
assidus de Biette et responsables par ailleurs des dézingages
en règle du Mortel Transfert de Beineix - il
est vrai maladroit mais indéniablement sincère,
et du Dr T et les femmes d'Altman, ont commencé
à tirer à vue sur la bête. Injuste, leur
réaction épidermique n'est malheureusement guère
étonnante. Là où Gans, en filigrane,
propose une alternative, une façon plus incendiaire
et sensible de faire l'amour, Lalanne, le mal nommé
de Libération, Kaganski, auquel nous accordons
quelques fautes de parcours tant ce mec encyclopédique
a l'air honnête et loin d'être éteint,
des Inrocks, et Sotinel du Monde, journal de
référence, ne voient apparemment et selon les
humeurs qu'une polygamie bouffonne et incontrôlée.
Ils ne sont pas légion ceux qui, comme nous, décèlent
dans cette manière pyrotechnique de traiter tous les
langages cinématographiques avec autant d'appétit
et d'ardeur une forme aussi fulgurante qu'heureuse de libéralisme.
Le géniteur de Crying Freeman l'a claironné
à longueur de colonnes et de promo télé
et radio : il n'est pas sectaire. Mais bel et bien en accointances
avec tous les seins qui ont fondé sa passion incandescente
pour le septième art. Gans dégoupille une grenade
imparable en innovant tout simplement une nouvelle grille
de lecture des relations sexuelles.
Le Pacte des loups
baise à tous les râteliers référentiels
: du feuilleton 50's à John Woo, d'Angélique,
marquise des anges, à Tim Burton, d'Argento père
à Scorsese. Tout y passe. Une invitation à
l'éjaculation ininterrompue, au coït paroxystique.
Cette machine de guerre abolissant toutes les frontières
nous prend de court et, forcément, nous agresse nous,
qui endommagés par une éducation hermétique
prenant inlassablement le choix d'un clan, refusons trop
souvent de faire le grand saut, le grand écart entre
deux pôles pour l'instant opposés mais qui,
par le truchement de magiciens aussi bien gaulés
que Gans, finiront bien par fusionner : hétéros
/ homos; gauche / droite; beurre / margarine. Musicalement,
le deuxième long-métrage de Christophe Gans
n'est pas sans faire écho à l'un des plus
grands albums français de l'an dernier, le United
de Phoenix. Paru en juin, et bénéficiant d'un
frémissement "Inrocks" et autre Magic !,
cette bombe métisse explosant les tympans, comme
les écrits spermatiques d'un Houellebecq éclaboussent
la routine, n'a pas remporté le succés escompté,
si ce n'est un prurit accentué du côté
underground. Là encore, trop tôt pour la grande
touze planétaire. Vivement le 12 mars prochain. Les
gens de goût comprendront. Les faux modestes, eux,
continueront de forniquer avec leur conjoint bagué,
de glorifier Saint Guédiguian de Marseille-sur-Seine.
Merci Christophe Gans. Merci pour tous ces plaisirs indicibles,
et précoces, qui m'ont envahi à la vision
de votre touchant rêve. Merci de m'avoir donné
la force d'aimer par dessus-tout et simultanément
R, écrivain en éclosion, V, critique talentueux,
et P, victime de trop de peaux de banane pourries qui ont
empoisonné sa vie. On repassera pour le cynisme.