C¹est là l'une des batteries
qui donne toute leur vélocité aux dernières
livraisons de François Ozon et Robert Zemeckis. Deux
cinéastes au moteur surchargé en super avec
aplomb. Dans un mouvement d'effervescence soignée et
contenue, ils signent deux œuvres vertigineuses et jubilatoires
de la privation. Par-delà l'aspect pictural de leur
travail, les réalisateurs de Regarde la mer
et La Mort vous va si bien sortent, inconsciemment
peut-être, du cadre scénaristique qu’ils nous
amènent sur un plateau, pour en exploser les limites,
les contours, et scruter les égouts d'une époque
binaire, aussi excitante que peu ragoûtante et, par-dessus
le marché, sponsorisée par Kleenex.
Il y a quelque trente ans, alors que l¹effondrement des cours
pétroliers sonnait violemment le glas de l"euphorie
et du plein emploi, Marco Ferreri servait La Grande bouffe,
un plat de résistance monstrueux fusillant une société
anéantie par le marasme et ses nombreux visages, le
chômage, nouvelle donne de l’échiquier sociétal
du moment, arrivant en tête de toutes les préoccupations.
A Cannes, où le film avait été jeté
en pâture aux lions affamés, Piccoli, acteur
dorsal de ce long-métrage tentaculaire, se voyait offrir,
en guise de remerciements, un filet garni d’insultes et autres
coups de poing sans accusé de réception. L¹identification
portée à son paroxysme. Dans un tel contexte
de crise et de débauches, la provocation était
un plat qui se mangeât tiède, souvent froid,
voire pas du tout. Le cinéma, comme plat de résistance,
une gastronomie entretenue aujourd’hui par Ozon et Zemeckis.
A l'heure où la rédaction-grenouilles-de-bénitiers
de Télérama ausculte puis prône le rassemblement
stérile et positiviste des foules (la conjugaison des
effets Mondial footballistique et Le Goût des autres,
pièce de boulevard), Sous le sable et Seul
au monde militent pour un désengorgement substantiel
des périphériques bondés que sont la
démagogie.(m)org(ue) et le bien-être.com.
Films de deuil, sans doute. Objets
de contestation, certainement. Des modes d’emploi d¹une existence
sans. Intransitive. Des plans d¹allégement mettant
au feu tout ce qui tient du but, de l¹objet, de la finalité.
Des patrons de la reconstruction identitaire, en gros. Sous
leur sable, point étrangement commun des deux histoires,
plus largement, dans leur intimité, l¹insurrection
et l¹insoumission battent la chamade. La corne d¹abondance
est, grâce à eux, écornée, la société
de con-sommation et de surenchère à plat sur
le tatamis. Tom Hanks abandonné sur son île (de
synthèse), Charlotte Rampling en quête traumatisante
d’une ombre conjugale suicidée ou évaporée,
c¹est un peu nous dans un Virgin Mégastore ou un Edouard
Leclerc totalement cambriolés, dépecés
de leurs attributs marchands. La vérité du Ozon
et du Zemeckis réside dans la mort, dans un festin
nu à contre-courant d¹un monde qui se ment, à
trop se complaire dans tout sauf l¹essentiel. La vie, la vraie
n¹est décidément pas chez Auchan mais sous le
sable.