Une situation pas rock’n roll pour
un sou nimbée, en outre, de cette sensation d’étranglement,
d’impasse que chronique si bien notre Tom Yorke chéri,
beau prince ténébreux. Il y a dans sa musique,
et ce depuis l’orée "Pablo Honey" jusqu’au crépusculaire
"Amnesiac" - soient quelque dix ans de jubilatoires anévrismes
évolutifs, un arbre de désespoir qui masque
une forêt de jouissances obscures luxuriantes. Il suffit
pour s’en convaincre d’écumer les interviews livrées
par le leader de Radiohead, d’observer sa gestuelle scénique,
ses infimes rictus de plénitude live : il y a chez
Yorke une mécanique savante de l’équivoque actionnée
par des engrenages hybrides, noirs et dilettantes. Aussi marketée
que soit son épaisse neurasthénie, ce olibrius
n’est autre qu’un gosse qui joue avec la mort, avec la vie
donc. Fusion éléctro-pop de l’ubac et de l’adret
que sculptent également, d’un point de vue cinématographique
cette fois, les principaux personnages de Sous le sable,La
Chambre du fils, Pau et son frère, trois
ouvres plébiscitées au box office cette année
et qui ont à voir avec la mort, avec l’impuissance
face au décès d’un proche. Jonction avec les
joyeux chants mortifèes de York et sa bande sexy, l’omniabsence
que leste la légèreté des protagonistes.
L’humour du désespoir à son zénith. Les
sourires lucides d’une Charlotte Rampling, les égarements
éthyliques d’un David Selvas ou bien les accès
comiques d’un Nanni Moretti forment le tryptique comportemental
d’une prise de conscience aussi radicale que détrempée
du manque due au départ prématuré de
l’époux, du frère ou du fils.Privés de
lumière, c’est par une dérision quasi-épileptique
qu’ils entrevoient le bout du tunnel. L’occasion mortifère
fait le larron, pose un nez rouge sur leur propre condition
de cadavre en devenir. Les personnages qu’incarnent Rampling,
Selvas et Moretti apprennent à vivre sans, en direct,
sous nos yeux. La mort, sous Cellophane, qui guette les lofteurs
de M6 est, quant à elle, tout autre puisqu’induite
dans les contrats de pacotille qu’ont signés ces pieds
nickelés du PAF. Elle est différée. Dans
le climat actuel de cornes d’abondance consumériste
de tout acabit, la mort comme corpus de ralliement créatif
(qu’on le veuille ou non, Loft Storyest une œuvre d’art
- chaque époque a le Warhol qu’elle mérite)
apparaît comme un contre-pouvoir intense, une alternative
au toujours plus. C’est ce en quoi l’émission de M6
n’est peut-être pas si éloignée d’un certain
cinéma contemporain, celui qui embrasse la mort. Dans
la chair storyboardée du Loft, elle palpite là
où ? on ne l’attend pas, entérinant, sans même
le savoir, cette jolie obsession qui fait la nique à
un capitalisme toujours plus dru.
Dans leur petite vie trumanshowsée
à 2300 balles la semaine, Jean-Edouard, Loana et
les autres expérimentent, consentants (les pauvres
chéris! manquerait plus qu’on les plaigne, z’avaient
qu’à apprendre à lire avant de parapher la
paperasse), le deuil : celui d’être coupé de
tout pendant deux mois, du moins de l’essentiel, des vraies
relations humaines, puis celui, au terme de leur spectaculaire
incarcération, de leur géniteur télévisuel
et médiatique, risquant de se retrouver face à
eux, rien qu’eux, sans ce cordon ombilical exhibo qui les
aura maintenus en vie pendant huit abjectes semaines. Il
n’y a guère que Castaldi qui soit taraudé
par leur sortie ("Le Parisien / Aujourd’hui" du 5 juin 01),
par leur apprentissage du off. Pour l’heure, ces beautiful
freaks sont tous sous les feux de la rampe. Une fois que
la régie centrale aura coupé le jus, une fois
que Steevy aura été viré de Fun TV
pour un autre joli passeur de clips, une fois que David
se sera noyé pendant sa pêche aux glaçons,
une fois que Julie aura été éjectée
du Top 50 faute de ventes discographiques, une fois que
Jean-Edouard aura baisé la terre entière (mecs
y compris), bref une fois que les membres de ce boys band
sans allure auront intégré leurs basses fonctions
de Kleenex recyclés, auront-ils les couilles d’affronter
leur déclin? Et nous, hypocrites inconditionnels
de l’infâme saga, aurons-nous suffisamment de cran
pour accepter, le 6 juillet prochain, la fermeture éphémère
du Loft de la Plaine Saint-Denis ? Sur quoi allons-nous
planter nos griffes frustrées et insatiables en attendant
la livraison 2002? Elysée story, avec ce qu’il
faut de psychotropes pour fantasmer. Reconnaissez s’il-vous-plaît
qu’un civisme bien placé est bien plus excitant que
la fade anatomie d’un Jean-Edouard ou d’une Loana. Laissez
passer l’enterrement des lofteurs!