" Si vous entrez
chez moi, vous devez sourire ", c’est ce que
nous dit, en substance, Christine - dont je change le prénom
pour préserver l’anonymat -, dans l’émission
Tous Ego (devenue depuis Tous Egaux). Intégriste du
sourire et de la bonne humeur, Christine, 53 ans et vivant
seule, a entièrement conçu son intérieur
autour de ce souci de la joie du foyer. Dès que vous
pénétrez chez elle, vous êtes accueilli
par un nain de jardin qui vous somme de sourire. Le reste
n’est pas triste, non plus. Chaque objet a été
pensé pour vous rendre le séjour agréable
(!?) : les fleurs en pot qui jouent de la musique et
dansent pour vous et " avec vous, pourquoi pas ?
Et, en plus il n’y a même pas besoin de les arroser
et de s’en occuper. " ; le cochon rose
en peluche affublé de la voix de Véronique ou
Davina (je ne suis pas expert) et qui, en musique, vous invite
à quelques exercices, " parfait pour un
bon départ, le matin " ; ou l’ours
en peluche qui se dandine au son de la macarena, etc. Tout
ça parce que l’essentiel dans la vie c’est d’oublier
ses soucis, et c’est tout ce qu’elle " demande
quand vous venez chez [elle] ", Christine. L’angoisse.
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Cette logique du sourire
à tout crin est le lot des émissions consacrées,
entre autres, au cinéma. Bien sûr, vous me direz
que les enjeux économiques sont énormes :
la télévision met (est tenue de mettre) beaucoup
d’argent dans le cinéma et les obligations de service
après-vente sont proportionnelles.
Face à cela, on comprend immédiatement le sublime
et indéfectible sourire qui fend le visage de Micheline,
comme le titre de l’émission l’indique, de Bouche à
Oreille. Il lui est impossible (déconseillé ?
interdit ?) de s’indigner, s’énerver, s’enfader
contre un film a fortiori dans lequel France 2 aurait injecté
de l’argent. Non, ce ne serait pas moral. Alors, même
en cas de " réserves ", elle garde
le sourire jusqu’aux oreilles.
Et, c’est à peu près règle commune. Il
suffit, pour s’en convaincre, de regarder ce qui se fait ailleurs.
Sur m6, Grand Ecran est présenté par une jeune
femme toute aussi souriante, à la différence
qu’elle ne prétend absolument pas au statut de critique.
L’exercice n’en serait que plus croustillant, étant
donné la ligne éditoriale du magazine : passer
en revue les sorties de la semaine en mettant l’accent sur
une, voire deux, grosse(s) sortie(s) (commercialement parlant),
à grand renfort de reportages, interviews, etc. La
dernière émission en date était gratinée.
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Autour de la sortie de " Charlie
Et Ses Drôles De Dames ", elle se fendait
d’un dossier (pas du tout rabâché) sur les séries
télévisées adaptées au cinéma.
Je passe sur la promo du film et l’interview des trois drôles
de dames collection 2000. De la bande-annonce, je ne retiendrais
qu’une seule image intéressante, car porteuse :
les trois " anges " fendant l’air et l’eau
aux commandes d’un offshore, image totalement rescapée
de la série et convoquant un cortège de souvenirs
que même le " Bonjour, les filles ! "
de Charlie n’avait pas fait resurgir. Pour le reste, c’est
insipidement " à la pointe de la hype totale " :
je cherche la touche décalée ou personnelle
ou je ne sais quoi qui me propulserait hors de ce formatage
banalement dramatrix. En vain.
Bien entendu, le film de
McG. (cinéaste dont le nom à lui seul est une
mine d’informations) nous est annoncé comme un événement
à la limite du chef-d’oeuvre. Soit. Néanmoins,
je suis intrigué par la teneur du dossier, quand la
présentatrice laisse entendre que toutes les adaptations
de séries tv n’ont pas été à la
hauteur de leur modèle : on s’acheminerait donc
vers moins de complaisance (je n’ose encore parler d’émergence
de sens critique, notez). La plus belle réussite est
sans conteste, nous dit-on, " Mission : impossible "
de Brian de Palma. Avec un succès tel que l’acteur-producteur
Tom Cruise n’a pas pu résister à en tourner
un deuxième. Je tique devant ce " succès
tel ". Et, j’ai bien raison. L’équation
quantité=qualité est le fondement critique de
ce dossier. Ainsi, sont jetés aux lions " Le
Saint " et " Chapeau Melon Et Bottes De
Cuir " pour cause d’insuccès, synonyme de
mauvaise qualité. Alors que sont portés aux
nues " X-Files " et " Wild Wild
West " pour avoir rapporté des centaines
de millions de dollars, synonyme d’une qualité irréprochable.
Je reste pantois, mais le public a toujours raison. D’autant
quand il s’agit de défendre son fond de commerce, et
alors même qu’on est les concepteurs-producteurs-organisateurs
des m6 awards, récompenses attribuées à
100% du seul fait du vote du public. Je m’incline, et jure
qu’on ne m’y reprendra plus.
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