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Jeanne, ignorante de l’objet
qu’elle contemple, ne le contemple justement pas : elle
le scrute, le bouscule, le retourne, le secoue, bref le met
en péril. Elle le confronte à la vie, sa vie.
Cherche des résonances, repère les failles.
Et réussit le tour de force de nous emmener dans sa
forêt de Sherwood. Son désir de cinéma
est aussi et surtout une quête du sens, de l’émotion,
de l’Homme. Contrairement à Kaganski qui fouille des
décors ("sa maison en pin face à la mer"),
des situations ("cette radioscopie du trio femme/mari/amant"),
des personnages ("vieux sage démiurgique"),
des techniques ("la mise en scène fait dans le
bon goût confortable, beaux décors, lumières
mordorées, gros plans…"), tous autant figés
les uns que les autres dans une "vision bergmanienne",
un "savoir-faire" spécifique à "ce
cinéma-là"(?). Un cinéma qui ne
palpite plus guère chez lui.
Et si finalement, par ce même principe de fraîcheur
et de spontanéité d’une critique non professionnelle,
on tenait la solution pour une pratique libre de la critique
de cinéma à la télévision ?
Pour s’en convaincre, on peut regarder l’émission On
A Tout Essayé ! (un mardi sur deux, france2),
où Laurent Ruquier et ses chroniqueurs testent l’actualité
et notamment la grosse sortie cinéma du moment (Les
Rivières Pourpres, The Watcher, Charlie et ses Drôles
de Dames…). On y entend les réactions les plus
triviales jusqu’aux plus viscérales (concernant l’incompréhensible
fin de Les Rivières Pourpres, ou la mine bouffie
de Keanu Reeves) collant à l’esprit de dérision
de l’émission. Mais surtout, on y voit un film pris
à bras le corps par un aréopage qui ne prétend
à aucun statut et s’arroge le droit (le devoir ?),
comme d’un simple geste du pouce, d’encenser (encore pas vu)
ou de démolir (souvent le cas) un film. Bien sûr,
si c’était tout ce serait ludique mais vite lassant.
Tout l’intérêt de l’exercice se mesure en filigrane
et dans la parole de chacun des chroniqueurs. Bien souvent
(quand le film n’a pas plu, en particulier), c’est l’occasion
de parler d’autre chose, d’un autre film : d’une envie
de cinéma. Ça tranche dans le vif de ces émissions
qui se prennent au sérieux pour nous rouler dans la
farine (animale) et nous vendre leur cinoche. Ici, l’humour
est la seule règle. C’est absolument drôle, définitivement
subversif.
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Ici, il y a un regard derrière
le sourire (non feint). On est loin du sourire terrifiant
de Christine, dans Tous Ego/Egaux. Et du cynisme de certaines
situations : il est plus heureux d’être une dinde
aux Etats-Unis, qui peut être graciée de la peine
de mort le jour de Thanksgiving. Peut-être sera-ce l’occasion
pour George W. Bush d’accorder sa grâce, un jour…
Par contre, il n’est pas très heureux d’être
athlète et handicapé (certes), à en croire
(et on veut bien) leur représentant venu passer un
coup de gueule sur le plateau de Marc-Olivier Fogiel, On Ne
Peut Pas Plaire A Tout Le Monde. Pour résumer, il se
plaint de la faible médiatisation qui fut accordée
aux Jeux Paralympiques de Sydney, juste après les J.O.
Par principe et bonne conscience (politiquement correcte),
je devrais adhérer à ce type de combat, sauf
que je m’en fous et ce pour deux raisons : 1/ un désintérêt
total pour le sport, avec ou sans prothèse ; 2/
une indifférence muée en méfiance vis
à vis d’un discours du dépassement de soi et
de la beauté de la performance, quand les seules fois
où j’ai entendu parler de ces Jeux, c’était
pour des affaires de dopage…
Peu importe. Là où l’émission bascule
et renvoie notre athlète hémiplégique
à la vacuité de sa démarche, c’est lorsque
M.O.Fogiel demande à Philippe Candeloro, présent
sur le plateau, ce qu’il pense de cette injustice. Or, le
patineur, trahi par son naturel (sa candeur ?) et son
regard vide, comme moi, s’en fout clairement à cet
instant précis (et sans plus généralement).
Acculé par la décence et la bonne conscience,
il répond compatissant et démagogique :
"ces athlètes ont vraiment du courage ".
Platitude condescendante qui déclenche l’ire de l’autre
athlète qui ne se considère pas plus courageux
qu’un sportif valide. Peu fier de son intervention, Candeloro
tente de se montrer que la cause " des athlètes
paralysés ", comme il dit, le touche
vraiment. Et d’ajouter l’énormité qui décime
tout : " Je regrette seulement un truc,
c’est qu’il y en ait pas dans le patinage. "
Silence. Interloqués et à leur tour compatissants,
ils lui tendent la perche qui peut lui éviter de s’écraser
honteusement comme un vieux flan, et en choeur : " De
quoi ? " Mais en vain : " ben,
des athlètes paralysés ! "
C’est vrai. Ça manque, les triples saltos en fauteuil
roulant, et puis il ira lui-même chausser les patins
sur les fauteuils.
Le cinéma est aussi dans la tête de Candeloro.
Ouvrez l’oeil ! Gardez le sourire !
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