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La nuit m’achève. L’été
est mort, enfin. Je ne serais plus tout à fait entier
dés ce jour, cette aurore discrète et vagabonde
qui monte au-dessus des rues légèrement dévisagées
par la pluie du boulevard X ; je me suis perdu jusqu’au
petit matin dans les bars enfumés de la capitale à
la recherche de cette substance de vie, de ces chairs tristes
et molles, de ces " choses " à
raconter et à reproduire sur mes feuilles d’images.
J’aurais bien éjaculé à ce moment-là,
bien fait, de l’autre côté de la vie. Rien à
dire, le cinéma doit puiser dans la vie et ça
me manque, et cruellement, ça nous manque cette passion
dévorante des images. On ne peut plus guère
être sincère et vivant en faisant des films aujourd’hui.
Il faut savoir négocier, tromper, porter un beau costume,
avoir chaussé de belle pompes au préalable,
et j’en souffre, j’en souffre davantage ce matin, dans ce
petit matin volubile et peu sûre de lui, en fouillant
à l’intérieur de moi, oh là, tout au
fond à l’intérieur de moi, en cherchant une
raison de résister à l’industrie comme si un
oiseau venu des îles pouvait survivre plus d’un quart
d’heure au-dessus d’un Paris polluant et encombrée
par toutes sortes d’êtres suintants le superficiel
Oui, il n’y a rien à faire d’autre
que d’aller profondément plonger dans un long sommeil
vomitif, plus rien d’autre à faire que d’aller rêver
au prochain film, aux prochaines nuits endiablées où
l’on se raconte son mal sans faire preuve de la moindre pudeur,
complètement désossé, adossé au
bar jauni où se tassent tous les ratés, toutes
les âmes bientôt mortes, devant un verre d’alcool
fort, magnant la mélancolie comme le plus maladroit
des tours de cirque.
Il y a parfois un sentiment de honte à
se sentir un cinéaste, lorsqu’on voit tous ceux qui
s’abîment dans la vie. Mais que peut-on montrer d’autre
que la vie dans toute son horreur ? Parfois, on rit et
puis la comédie nous emmène loin dans l’ivresse,
dans un mirage douteux, le vague à l’âme, défoncé
aux figures bizarres et tourmentées. Il y a vraiment
des choses à voir dans les grandes villes.
Là, la nuit dernière, j’ai
découvert le phénomène Amélie
Poulain. C’est curieux mais je n’ai pas vibré. Il
y avait quelqu’un à côté de moi ;
une personne censée, peut-on dire. Elle n’a pas vibré
non plus. Nous souffrons peut-être trop pour s’émouvoir
devant ce spectacle un peu niais. J’avais encore lu Beckett
toute la journée et celui-là, il m’avait arraché
le cœur, une fois de plus. Le bonheur des gens, ça
n’existe pas. Faire le bonheur des gens non plus du reste.
Disons, qu’il ne faut pas penser à faire le bonheur
des autres. Et puis de quel bonheur parle-t-on ? J’eus
l’impression après la diffusion de Poulain d’avoir
avaler une centaine de clips montés bout à
bout ; un travelling, un visage gagné par la
compassion, une petite musique pour emballer tout ça,
et le peuple qui se met à pleurer à l’unisson.
Un beau mais néanmoins creux résultat, au
bout du compte. Je n’en veux pas à Jeunet. Il est
sûrement honnête dans son cinéma. J’avais
apprécié l’univers fantastique de Delicatessen
et de La cité des enfants perdus. C’est à
lui et à personne d’autre.