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La Boutique à opium (c) D.R. LA BOUTIQUE A OPIUM
Chapitre 7
Par Matt DRAY


" De toute façon, ça va pas durer.
Ça va être interdit la vente forcée là comme ils font.
Parce que si on vous passe des conneries
et des conneries toute la journée, vous finissez par les acheter.
Vous n’êtes pas raisonnable non plus.
Quand on pense qui suffirait que les gens ne les achètent plus
pour que ça se vende pas. "
Coluche



  La Boutique à opium (c) D.R.

La nuit m’achève. L’été est mort, enfin. Je ne serais plus tout à fait entier dés ce jour, cette aurore discrète et vagabonde qui monte au-dessus des rues légèrement dévisagées par la pluie du boulevard X ; je me suis perdu jusqu’au petit matin dans les bars enfumés de la capitale à la recherche de cette substance de vie, de ces chairs tristes et molles, de ces " choses " à raconter et à reproduire sur mes feuilles d’images. J’aurais bien éjaculé à ce moment-là, bien fait, de l’autre côté de la vie. Rien à dire, le cinéma doit puiser dans la vie et ça me manque, et cruellement, ça nous manque cette passion dévorante des images. On ne peut plus guère être sincère et vivant en faisant des films aujourd’hui. Il faut savoir négocier, tromper, porter un beau costume, avoir chaussé de belle pompes au préalable, et j’en souffre, j’en souffre davantage ce matin, dans ce petit matin volubile et peu sûre de lui, en fouillant à l’intérieur de moi, oh là, tout au fond à l’intérieur de moi, en cherchant une raison de résister à l’industrie comme si un oiseau venu des îles pouvait survivre plus d’un quart d’heure au-dessus d’un Paris polluant et encombrée par toutes sortes d’êtres suintants le superficiel

Oui, il n’y a rien à faire d’autre que d’aller profondément plonger dans un long sommeil vomitif, plus rien d’autre à faire que d’aller rêver au prochain film, aux prochaines nuits endiablées où l’on se raconte son mal sans faire preuve de la moindre pudeur, complètement désossé, adossé au bar jauni où se tassent tous les ratés, toutes les âmes bientôt mortes, devant un verre d’alcool fort, magnant la mélancolie comme le plus maladroit des tours de cirque.

La Boutique à opium (c) D.R.

Il y a parfois un sentiment de honte à se sentir un cinéaste, lorsqu’on voit tous ceux qui s’abîment dans la vie. Mais que peut-on montrer d’autre que la vie dans toute son horreur ? Parfois, on rit et puis la comédie nous emmène loin dans l’ivresse, dans un mirage douteux, le vague à l’âme, défoncé aux figures bizarres et tourmentées. Il y a vraiment des choses à voir dans les grandes villes.

Là, la nuit dernière, j’ai découvert le phénomène Amélie Poulain. C’est curieux mais je n’ai pas vibré. Il y avait quelqu’un à côté de moi ; une personne censée, peut-on dire. Elle n’a pas vibré non plus. Nous souffrons peut-être trop pour s’émouvoir devant ce spectacle un peu niais. J’avais encore lu Beckett toute la journée et celui-là, il m’avait arraché le cœur, une fois de plus. Le bonheur des gens, ça n’existe pas. Faire le bonheur des gens non plus du reste. Disons, qu’il ne faut pas penser à faire le bonheur des autres. Et puis de quel bonheur parle-t-on ? J’eus l’impression après la diffusion de Poulain d’avoir avaler une centaine de clips montés bout à bout ; un travelling, un visage gagné par la compassion, une petite musique pour emballer tout ça, et le peuple qui se met à pleurer à l’unisson. Un beau mais néanmoins creux résultat, au bout du compte. Je n’en veux pas à Jeunet. Il est sûrement honnête dans son cinéma. J’avais apprécié l’univers fantastique de Delicatessen et de La cité des enfants perdus. C’est à lui et à personne d’autre.