Et je ne serais jamais cette plume
qui réduit à néant le travail considérable
d’un cinéaste. Un petit film de 12 minutes m’a pris
déjà tant de sang de mon corps que je n’ose
imaginer mon état à la fin d’une diffusion d’un
film de deux heures. Cependant, puisqu’on peut prendre la
parole librement, je dois dire que je n’ai rien trouvé
chez poulain d’extra " ordinaire " qui
puisse me sauver la peau. Alors, j’ai replongé encore
dans Orange Mécanique, dans l’âme torturée
d’Alex, dans Beethoven et là, j’ai compris pourquoi
le cinéma existait. La force de Kubrick réside
dans ceci ; toute l’horreur du monde, c’est à
nous que nous le devons, à la société
dont la plupart approuve l’existence, sans broncher. Je croisais,
il y a peu, un couple d’amis. J’évoquais ce que je
ressentais devant les malheurs du monde. Et ce couple, que
je ne blâmais pas pour autant, m’a avoué leurs
faiblesses, leurs lâchetés. Il avait peur de
mettre en péril la société. " Nous
sommes des pions, voilà tout, des lâches sûrement,
mais nous n’avons pas le choix ". Ce qui m’importe,
essentiellement, est de m’arracher au monde. Je porte de l’intérêt
aux contes cruels, aux films " malades ",
aux personnages qui tentent d’échapper au monde hostile
qui les entoure et qui ne parviennent guère à
se sortir indemnes de la vie sans y laisser une partie de
leur corps.
Et puis encore, je me suis relancé
dans Mr Arkadin d’Orson Welles, dans le mensonge
et l’illusion pour effacer le souvenir de Poulain. Nous
ne sommes rien de plus que de piètres magiciens.
La fuite, toujours la fuite. Un bien excitant thème
cinématographique.
Parce que l’été n’avait
pas été gai non plus il faut dire. Par hasard,
en allumant mon poste de télévision, au milieu
d’une après-midi ensoleillée, j’ai croisé
un film français. Ah la la, mais quelle cruelle erreur !
Rien que le bord de la mer, des enfants qui jouent sur la
plage, des couples qui s’engueulent, rien de bien bouleversant.
Mais ça a fait rire la gosse, une petite cousine
en somme, qui me fit grâce de quelques sourires et
remarques intéressantes. Pour le reste, pour l’histoire,
elle n’en avait que faire. Ça l’ennuyait plutôt
mais rien que de pouvoir observer la courbe des vagues,
les châteaux de sable, l’enchantait énormément.
Voilà, j’avais bien envie de lui envoyer la mer sous
vidéo moi aussi, mais pour pas cher, sans explication,
ni élitisme barbant et sans intérêt.
L’exception culturelle ! Ah,
mais parlons-en ! Le peuple résume l’exception
culturelle à Amélie Poulain, cette année.
Le peuple, hélas… Bien sûr, quantité
d’individus dans ce pays qui ont (presque) oublié
de ne consommer que ce qui les enrichit, refusent de souffrir
de l’écran. Bon sang, mais ce qui m’abîme me
rend plus fort encore. A ce jour, alors, nous devrions jeter
les œuvres de Céline, de Dante, de Shakespeare, et
nous abreuver encore plus d’idioties télévisuelles,
de spectacles imbéciles où l’on sépare
des couples happés par l’appât du gain. Oublions
le Cirque alors aussi ; les jongleurs, les marchands
de rêves, les funambules, tous les poètes,
l’histoire de l’Art, et Gauguin et Bacon, etc etc. Tout
ça mène malheureusement à l’ignorance
la plus complète. Et il n’y a rien de pire que l’ignorance.
Rousseau le savait bien. L’enfant qui vient de naître
aujourd’hui ou hier passera à côté de
Voltaire, de l’importance de la philosophie Kantienne dans
l’existence, de Fritz Lang, de Tarkovski. Il ne sera pas
capable de citer un seul vers de Rimbaud. Quand vivre, quoi
vivre, pourquoi vivre, sans se poser de questions ?
Nous ne sommes pas raisonnables. Le peuple, hélas…
et le pitre divertissement, comble de notre misère
culturelle environnante, de notre appauvrissement absolu.