" Ah ! misérable
chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments,
vous l'auriez flairé avec délices et peut-être
dévoré.
Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie,
vous ressemblez au public,
à qui il ne faut jamais présenter des parfums
délicats qui l'exaspèrent,
mais des ordures soigneusement choisies. "
Charles Baudelaire
Je m'en vais ce soir dans les cinémas
du quartier latin, dans une brume qui rougit en me voyant
passer, je m'en vais ce soir trouver la salle blanche qui
m'effacera ; faire un film, alors, les yeux bien ouverts,
et en voir d'autres qu'on a connu enfant, c'est difficile
On me parle de cinéma aujourd'hui comme on tenterait
de me vendre un poisson sur le marché public, comme
une pute endimanchée, sans penser que derrière
tout ça se cache une quête, une soif d'art, une
soif qu'on ne peut étancher heureusement, et ça
peut-être le Graal ou bien Virgile, Tacite, Vinci, lui
qui nous y a bien poussé vers le cinéma avec
ses idées de génies, d'ombres et de lumières.
Personne ne sait maintenant, comme il le faudrait, avec
un cur qui bat, une colère légitime
Ils nous manquent des rôles.
Nous y voici. Mais où sont les acteurs ? Eh !
Raimu peux-tu enfin ouvrir ta gueule à nouveau ?
Ouvre ouvre ta boîte, cela ne doit être si compliqué
au bout de cinquante ans et plus, le bois a bien pourri,
il est temps, je t'en prie parce que là, rien ne
va plus, joue-moi encore cette partie de cartes, et je te
laisserai gagner et te le donnerai mon cur tout entier
de mes mains nues et chaudes et je promets de me battre,
les paupières hautes, et d'en faire du cinéma
comme mes rêves sans adorer les billets de banque,
juste pour m'éveiller, l'encéphale debout,
modestement, comme le pain à mes lèvres raides
et qui me suffit, alors viens vite me sauver la peau. Ici
on oublie les passions ; je n'en sortirais pas de ma
désespérance sans toi et tous tes copains
cinématographiés. Il m'en faut du courage
pour mener à terme mon projet et mes deux compagnons
aussi en ont bien besoin de ton courage. Nous traînons,
désabusés adroitement par la vie de la société
qui nous traque jalousement, comme des êtres qui savent
être tout sauf le monde moderne, dans les rues la
nuit ; il fait si froid mais nous sommes si libres.
Je suis sortis encore une fois du Procès d'Orson
Welles (je te rappelle qu'il a pleuré pour toi devant
Pagnol en 46 mister Raimiuuuu ) la semaine dernière
et quel bonheur ; je n'avais même pas vu ce camion
qui fonçait sur moi. Comment ai-je réussi
à ne pas mourir cette fois-ci ? Je n'étais
pas là, plus du tout, mais ailleurs, transporté
dans une autre dimension, onirique, légère,
toute mauve, et dans un goût savant, je me plaisais
à faire des plans tout seul, rien que pour moi.
Je cours à faire des " écoute-moi
ma belle silhouette devant l'objectif " ne crois-tu
pas qu'il s'agit maintenant de t'embaumer pour l'éternité,
moi, tu sais, je te regarde, je ne suis qu'un pur ; je n'ai
point de forces pour sodomiser la gloire, n'ai pas l'app
ne pourrait jamais avoir l'app l'appétit des
monstres qui nous ressemblent sur cette terre, bien volontairement,
ni la censure facile. Reviens reviens, mon lait motive et
rêve vie, c'est de l'autre côté que ça
se passe, ma belle, dis-moi peux-tu renoncer à une
vie sans art sans cinéma sans le Requiem de
Mozart sans la petite lampe qui brille dans tes yeux après
l'obscur envahissement du doute, sans ce déchirant
et désespérant appel Schopenhauerien
rien rien mais tout, hein ? C'est un long
sommeil qui t'attend mais je suis sûr que tu pourras
me suivre tout à fait lucide, sans compter sur le
moindre artifice qui déchire les corps-sangsues appelés
à ce que nous saurons plus tard, le cul bien assis,
oh tu sais j'ai un paquet de répliques tachées
de sang dans le fond de ma gorge et ça crie ça
fait comme dans une cathédrale mais alors sans Dieu,
sans prières religieuses, sans manque, sans Dimanche,
sans péchés avoués. Je voudrais bien
commencer à mettre en marche le moteur de ma caméra
à nouveau, j'attends j'attends des heures Ulyssiennes
(pas moins de dix ans) dans le hall de ce laboratoire où
on découche mes dix premières minutes en noir
et blanc et je lutte pour ne pas me laisser prendre par
le moindre sommeil rangé. J'avais tout pris pour
aimer le cinéma à l'âge où l'enfance
s'en donne à cur joie avant de grandir et qu'on
cherche à me pervertir d'ambitions titanesques. J'attends
j'attends encore. On m'appelle. Le film est prêt.
J'ouvre mes yeux. Spectacle !