Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     



 

 

 

 

 
  LE NERF CINEPHILE
Chapitre I Episode 2
Par Zack DALO
Illustrations de Jonathan CARRIERE


J’habite le sixième, à cette époque. Et il n’est pas question pour moi de monter au septième, voir la pute et son luxe sur son lieu de travail, chez elle. Un petit coin fort agréable à ce qu’on disait un peu partout dans le quartier ! Elle servait bien la grelotte ! Eh bien, même ce bonheur flatteur, malgré son aspect tellement illusoire, m’était interdit ! " T’as qu’à apprendre à baiser tout seul ! C’est comme ça, quand on n’a pas l’âge ! " Et mon père frappait ! C’est qu’il faut user sa peau pour grandir dans le réel !

Et hop, un rire cynique au nez qui amène avec lui une ancestrale bouffée d’alcool de mûres !

(c) Jonathan Carriere

L’odeur du bois de la rampe de l’escalier, rongée par une humidité tenace, me donne la nausée. Je n’aime pas cette odeur de bois mouillé. En m’accrochant à la balustrade moisie, un bout s’arrache et me reste dans la main. Pas bien solide, ces édifices du 19ème siècle ! Bon Dieu ! Dieu s’en fout ! S’il est encore là ! Il n’est jamais descendu nous voir celui-là ! Et pourtant, il faut y croire dur comme fer à ses conseils et mon ennui qui continuer de m’enfoncer…

Il fait horriblement froid dehors ! Si je n’appartenais plus au réel, je ne le sentirais pas ce froid ! Là, j’aimerais mieux remonter et m’endormir immédiatement ! Ça ne plairait pas là-haut, c’est sûr ! Mais quel froid ! Quel jour sommes-nous, déjà ?

" Le 28 décembre, jeune homme. "

J’avais rien demandé. Mais un vieil homme m’avait entendu. C’est vrai, nous sommes le 28 décembre 1895. Un nouveau jour, à ranger avec les autres, bientôt, dans quelques heures ! Le froid atroce est d’une insolence aberrante ! Un froid sec et rocailleux ! Figurez-vous qu’il oblige les gens à cacher leur visage dans leur manteau ! Qui sont les hommes ? Qui sont les femmes ? Tous les mêmes ! Pareils !

Place de l’Opéra, à cette heure-là, on se bouscule, et on ne se dit pas pardon ! On ne peut pas, la tête dans le manteau ! Alors, on passe son chemin ! Où vont-ils ces gens qui courent tout azimut ? Je n’ai toujours pas acheté les pommes de terre ! Ça va barder ! J’augmente mon allure… je sens mes mollets gonfler… énormément ! Je zigzague habilement entre les silhouettes crasseuses… oui, les gens ! Les gens emmitouflés dans leur manteau. C’est qu’il y a de la place pour zigzaguer sur ce trottoir, boulevard des Capucines ! Parfois, une tête sort d’un manteau. Zut !… Et re-zut encore ! C’est pour me tousser pile devant ma tronche désabusée ! Il est fort cet hiver-là ! Y-en a du rhume ! Oh ! Le Grand Café ! Quelle belle devanture !

Malheureusement, pendant que je regarde les vieilles faces des affreuses dames rongées par le temps qui passe qu’elles voudraient bien oublier, alors que je les regarde, non charitablement, prendre leur petit thé accompagné de délicieux biscuits, je n’ai pas pu éviter le choc : je suis rentré tête baissée en plein dans l’estomac d’un serveur du café.

" Pouvez pas faire attention ? qu’il m’expédie sèchement, sans même s’être retourné sur moi ! Il était dehors, lui aussi ! Pourtant, il n’y avait pas trace d’une terrasse aménagée à l’extérieur du café. Pas par ce temps-là ! Peut-être qu’à cet instant, il ne faisait pas le service. Il s’était interrompu un moment pour se reposer… un moment : un autre moment, plus calme, plus léger que le précédent, celui qui se prolongeait depuis que le jour était sorti prendre enfin l’air.

Moi, je ne réponds pas ! Le garçon se retourne sur moi. Il me voyait ! Il poursuivit, de façon plus douce, oui, de façon nettement plus douce :

-" Bonsoir monsieur. Vous pouvez entrer, Le Grand Café est à votre service. "