Pendant la descente,
je me remémore ce mot : le " Cinématographe " !
Etrange ! Je refais mes calculs linguistiques. " Kinema " :
mouvement ! " Graphein " :
écrire ! Ça ne m’en disait pas plus !
Je suis arrivé en bas des marches ! Tout va s’éclaircir
peut-être maintenant !…
En tout cas, j’ai raison pour une chose : il fait chaud
là-dessous ! Horriblement chaud ! La chaleur
d’un petit " après-l’amour " !
Ça y ressemble ! Cette chaleur dont on ne sait
pas si elle vous fait du bien, ou si elle vous rend la vie
insupportable !
La sentence approche ! Ça s’agite ! On me
cherche une place ! Je suis assez bien placé !
Je m’installe confortablement.
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On ne doit pas être
plus d’une trentaine ici. Devant moi, un homme à la
calvitie avancée s’empare d’une place vide. Il se tient
comme un pic sur son siège, droit, immobile. Il attend.
Comme tout le monde dans cette petite salle, il attend l’éclaircissement
du mystère ! Le " cinématographe " ?
Etait-ce un singe à deux têtes ? Une femme-éléphant ?
Une machine à faire des bulles de couleurs ? Qu’est-ce
c’est, bon sang ? Finalement, j’envoie mon impatience
et mes doutes aller faire un tour, un grand tour, ailleurs.
Debout, près d’une longue toile blanche tendue à
son maximum, un homme d’un certain âge, bedonnant, d’apparence
calme, avec une grosse moustache grise, d’une importante épaisseur,
sans grand style, s’entretient avec son contraire, c’est à
dire un petit homme à l’air teigneux, qui balade sous
un nez cyranesque une petite moustache fine, très
fine et très à la mode du moment, finalement,
et qui a en plus de tout ça, en plus des traits très
marqués, deux gros yeux globuleux qui lui sortent de
la tête, et qui peuvent faire, à eux seuls, frémir
un mort. Et sans exagérer ! Non, il n’avait pas
besoin de forcer le petit ! Pas besoin de recourir à
toutes sortes de stratagèmes pour faire jaillir un
défunt de sa boîte piétiné par
une terre aride dont le réel raffole !
J’entends tout ! Toute la discussion, je veux dire !
C’est pas difficile. D’une part, parce que les deux hommes
si différentiables l’un de l’autre, qui n’ont pas leur
langue au fond de leur poche, sont situés qu’à
quelques mètres de moi, et d’autre part, parce que
le vieil enveloppé mène le débat avec
une voix grave qui parvient sans difficulté aucune
à atteindre mes tympans, bien malgré moi, et
que le petit homme hargneux tient le débat avec une
voix aiguë qui siffle à mes paupières le
réveil aux larmes. Alors, moi, bien sûr, je peux
les entendre, et très bien, sans aucune difficulté.
Le mieux du bien qui existe, dans ce temps-là !
Le gros moustachu est d’une perspicacité admirable.
Adorable, aussi ! Et c’est qu’elle vole adorablement
sa perspicacité. D’une clarté lumineuse dans
les propos qu’il édifie au fur et à mesure des
phrases, il sait ce qu’il veut. Il n’y a plus qu’à
donner son accord ! Ses cheveux blancs, d’un blanc éclatant,
témoignent d’une grande et savoureuse expérience
de la vie.
" Ecoutez, monsieur Volpini… vous êtes le
propriétaire des lieux… une affaire qui marche et qui
vous à ravir… lorsque je vois votre remarquable costume…
vous êtes soigneux, très soigneux. Quant à
moi, Antoine Lumière, d’abord peintre, puis photographe,
puis maintenant directeur d’une fabrique de produits photographiques,
je vous propose le marché suivant : je souhaite
vous louer ce sous-sol à bail pour une période
d’un an. Je voudrais profiter de cette salle obscure pour
expérimenter la nouvelle invention de mes deux fils,
Auguste et Louis : le " CINEMATOGRAPHE ".
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