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  LE NERF CINEPHILE
Chapitre I Episode 3

Par Zack DALO
Illustrations de Jonathan CARRIERE



Pendant la descente, je me remémore ce mot : le " Cinématographe " ! Etrange ! Je refais mes calculs linguistiques. " Kinema " : mouvement ! " Graphein " : écrire ! Ça ne m’en disait pas plus ! Je suis arrivé en bas des marches ! Tout va s’éclaircir peut-être maintenant !…

En tout cas, j’ai raison pour une chose : il fait chaud là-dessous ! Horriblement chaud ! La chaleur d’un petit " après-l’amour " ! Ça y ressemble ! Cette chaleur dont on ne sait pas si elle vous fait du bien, ou si elle vous rend la vie insupportable !

La sentence approche ! Ça s’agite ! On me cherche une place ! Je suis assez bien placé !

Je m’installe confortablement.

  (c) Jonathan Carrierre

On ne doit pas être plus d’une trentaine ici. Devant moi, un homme à la calvitie avancée s’empare d’une place vide. Il se tient comme un pic sur son siège, droit, immobile. Il attend. Comme tout le monde dans cette petite salle, il attend l’éclaircissement du mystère ! Le " cinématographe " ? Etait-ce un singe à deux têtes ? Une femme-éléphant ? Une machine à faire des bulles de couleurs ? Qu’est-ce c’est, bon sang ? Finalement, j’envoie mon impatience et mes doutes aller faire un tour, un grand tour, ailleurs.

Debout, près d’une longue toile blanche tendue à son maximum, un homme d’un certain âge, bedonnant, d’apparence calme, avec une grosse moustache grise, d’une importante épaisseur, sans grand style, s’entretient avec son contraire, c’est à dire un petit homme à l’air teigneux, qui balade sous un nez cyranesque une petite moustache fine, très fine et très à la mode du moment, finalement, et qui a en plus de tout ça, en plus des traits très marqués, deux gros yeux globuleux qui lui sortent de la tête, et qui peuvent faire, à eux seuls, frémir un mort. Et sans exagérer ! Non, il n’avait pas besoin de forcer le petit ! Pas besoin de recourir à toutes sortes de stratagèmes pour faire jaillir un défunt de sa boîte piétiné par une terre aride dont le réel raffole !

J’entends tout ! Toute la discussion, je veux dire ! C’est pas difficile. D’une part, parce que les deux hommes si différentiables l’un de l’autre, qui n’ont pas leur langue au fond de leur poche, sont situés qu’à quelques mètres de moi, et d’autre part, parce que le vieil enveloppé mène le débat avec une voix grave qui parvient sans difficulté aucune à atteindre mes tympans, bien malgré moi, et que le petit homme hargneux tient le débat avec une voix aiguë qui siffle à mes paupières le réveil aux larmes. Alors, moi, bien sûr, je peux les entendre, et très bien, sans aucune difficulté. Le mieux du bien qui existe, dans ce temps-là !

Le gros moustachu est d’une perspicacité admirable. Adorable, aussi ! Et c’est qu’elle vole adorablement sa perspicacité. D’une clarté lumineuse dans les propos qu’il édifie au fur et à mesure des phrases, il sait ce qu’il veut. Il n’y a plus qu’à donner son accord ! Ses cheveux blancs, d’un blanc éclatant, témoignent d’une grande et savoureuse expérience de la vie.

" Ecoutez, monsieur Volpini… vous êtes le propriétaire des lieux… une affaire qui marche et qui vous à ravir… lorsque je vois votre remarquable costume… vous êtes soigneux, très soigneux. Quant à moi, Antoine Lumière, d’abord peintre, puis photographe, puis maintenant directeur d’une fabrique de produits photographiques, je vous propose le marché suivant : je souhaite vous louer ce sous-sol à bail pour une période d’un an. Je voudrais profiter de cette salle obscure pour expérimenter la nouvelle invention de mes deux fils, Auguste et Louis : le " CINEMATOGRAPHE ".