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Le petit homme écarte
encore un peu ses deux gros yeux globuleux.
" Et dites-moi, le " CINEMATOGRAPHE "…
vous… comment… vous pouvez m’en dire plus ?
- Ecoutez, monsieur Volpini… je vous ai déjà
expliqué, certes assez rapidement, le principe de cette
invention. Mais, je ne peux me répéter ici de
nouveau, en présence de notre premier public… vous
ne vous rappelez de rien ?
- Enfin, il semble qu’il me reste quelques vagues bribes de
notre dernière conversation. Je dois bien vous avouer
qu’elle ne m’a pas laissé un grand souvenir votre explication…
ou… plutôt le principe de votre invention, monsieur
Lumière. Et j’en suis sincèrement désolé.
Je ne vois vraiment pas ce que vous voulez en faire. Et un
an, c’est long, il faut l’entretenir cette salle pendant un
an.
- Oui, je sais, c’est bien ce que j’avais cru comprendre en
nous quittant l’autre jour. Cependant, je peux vous verser
20% de la recette… si vous voulez. ? Pour un an de bail,
vous y trouverez à coup sûr votre intérêt.
- Votre recette ne m’intéresse pas ! Pas du tout !
Je ne pense pas… même, je suis convaincu que votre affaire
n’est pas une affaire qui attirera les foules. En conclusion,
je reste à ce que nous avions convenu il y a quelques
jours : le loyer sera de 30 francs par jour ! Après
tout, le sous-sol vous appartenant par ce contrat nous liant,
libre à vous de vous en servir pour ce qui vous semble
important… Maintenant, excusez-moi, mais je dois me retirer
pour m’assurer que mes clients à l’étage ne
manquent de rien.
- Je vous en prie, monsieur Volpini… de toute façon,
le spectacle doit débuter d’ici quelques minutes. Passez
à l’occasion, si vous n’êtes pas trop occupé
à soigner votre charmante clientèle.
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Le petit hargneux,
le propriétaire, dont la démarche sèche
et rapide m’étonne, remonte illico les marches que
j’ai mis tant de temps à descendre, ne sachant pas
où j’allais et surtout, ne sachant pas ce qu’il pouvait
m’attendre en bas ! C’est si affolant de ne rien savoir
à l’avance ! On n’est pas habitué à
ça dans la vie ! On n’aime pas ! Il fallait
que je rejette ce que la vie n’aime pas ! J’y penserais !
" Messieurs…Mesdames, prenez place, je vous prie…
le spectacle va pouvoir commencer.
Ce monsieur Lumière a tout prévu ici :
toute l’organisation de la soirée.
Je me suis assis sans discuter ! Je suis un peu hypnotisé
par l’imposante présence de cet homme sûr de
tous ses moyens.
" Lumière !… cria t-on du fond de la
salle, une voix grave, celle d’un homme.
Aussitôt, les lumières dans la salle s’éteignent,
progressivement, les unes après les autres. Nous sommes
tous plongés dans le noir complet, nous tous. Je n’y
vois plus. Même pas la lueur d’un lux ! On ne peut
plus rien discerner.
Mes voisins semblent avoir tous disparu ! Leurs chuchotements
m’apparaissent tellement lointains. Le bruit répétitif
d’une machine à coudre entre dans mes oreilles, sans
m’en demander la permission, du reste.
Et puis, tout commence ! Le spectacle, celui que l’on
m’a promis, dehors. Sur la toile tendue, là, à
quelques mètres devant moi, comme un éclair,
qui vient frapper vos yeux et vous emporte d’un seul coup,
une lumière blanche jaillit du fond de la salle, et
vient frapper la toile de toute sa force céleste !
Une image se forme, et mes yeux croient bien rêver.
" C’est la vieille lanterne magique, ironise mon
voisin de gauche, sans peur !
Il n’a pas tort. Certainement, ou bien, c’est du Nadar, ce
truc ! La photo s’était faite. Je reconnais, sans
peine, une rue de Paris, et puis, dans le fond de la photo,
l’Opéra. Je me trouve un peu déçu !
J’ai déjà vu ça, il y a longtemps, il
y a deux ans, je crois. J’ai dépensé l’argent
des pommes de terre, inutilement En rentrant, je m’attends
à une dérouillée sévère.
Mon père, l’alcool en main, ça ne rigole pas !
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