Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     



 

 

 

 

 
Pourtant, le spectacle ne s'interrompit pas (c) D.R. LE NERF CINEPHILE
Chapitre I Episode 4

Par Zack DALO
Illustrations de Jonathan CARRIERE


Pourtant, le spectacle ne s’interrompit pas. Alors que le temps continua de passer, l’image se mit, je crois bien, à s’animer. La foule, sur l’écran, d’abord immobile, bornant les abords de l’Opéra, commença à circuler, comme à son habitude, à vive allure, aux heures de pointe. Oui, ça bougeait de partout ! Et les mouvements ressemblaient aux nôtres, aux miens, aux êtres humains. J’étais devenu curieux, et mes yeux s’écartèrent davantage. Je ne savais plus où voir, que croire. Il m’était difficile d’être partout à la fois, dans l’image animée. Le public, comme moi, poussa, à l’unisson, un cri d’étonnement dès lors que la photographie s’anima.



Je voulais m’approcher de la toile. Quelle heure était-il ? Je m’en foutais largement ! Est-ce que j’avais encore mal aux pieds, d’avoir autant marché dans cet hiver diabolique ? Avais-je encore froid ? Je ne me souciais plus guère de ces questions étouffantes. Ce qui s’articulait devant mes deux pupilles, émerveillées par tant de chaleur, retint alors toute ma concentration et fit disparaître toutes les souffrances de mon corps.

D’ailleurs, assez étrangement, alors que les gens, dans la toile, disparaissaient au fur et mesure que le temps passait, je voyais toute ma vie quitter mon corps : mon existence « réelle » acceptait une défaite considérable. Je ne pensais plus à ma courte vie, passée dans le malheur, avec la peur de la faim, avec l’horreur du quotidien prisonnier dans mon cœur m’entraînant vers le fond d’un verre d’alcool généreux ou je ne sais quelles drogues illusoires, bientôt… Tout à coup, en regardant l’image animée, je ne me sentis plus seul !

La suite du spectacle, qui reçut toutes mes faveurs, n’eut plus besoin de me convaincre davantage. Je rêvais les yeux grands ouverts, dans le réel. Il y avait de quoi perdre ses yeux et les voir s’enfuir vers la toile, frappée par l’image animée, l’image-nature, la nature prise sur le vif, et non violée ! La nature, observée, lui livrant ce qui manque au réel, la sincérité, la tendresse, et tout…

Je ne tourne pas la tête ! D’ailleurs, je ne sens plus personne autour de moi ! L’Opéra a déjà disparu et a laissé la place aux grandes portes d’une usine, qui commencent à s’ouvrir. Une foule dense fait son apparition et sort de l’usine, envahissant toute l’image animée. La foule vient sur moi. Bon sang, elle allait me tomber dans les bras. Je me prépare, prêt à l’accueillir. Mais le flot d’hommes et de femmes, d’animaux qui eux aussi ont le droit de s’animer, se disperse lentement. Je reste les mains vides.

Pourtant, le spectacle ne s'interrompit pas (c) D.R.

Les vues se succèdent : une jeune femme sursauta dans la salle. Elle me boucha, pendant une demie seconde l’accès à la toile. Elle a sursauté parce qu’elle a cru que la voiture à cheval, dans l’image, allait lui foncer dessus. Je l’ai bien cru moi aussi, mais je n’ai pas sursauté, acceptant l’accident, l’idée de me faire écraser par la voiture à cheval, et la toile toute entière. Ce fut mon premier défi, mon premier risque, jamais osé devant le réel. Puis, je vis s’animer Lyon, et ce fut le congrès de photographie. Une dame reconnut quelqu’un sur la toile.

            « Oh, mais je le connais…
            C’est une image ?
            « Non, c’est Jules Janssen, sans son fusil photographique.

Cette dame n’a pas perdu la raison. Elle l’a trouvée, enfin, la seule raison qui tienne. Ainsi, ceux qui sont sur cette toile, dans cette image animée, vivent dans le réel. Mais que deviennent-ils après s’être fait prendre par la toile, ces gens, dans le réel ?