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C'est la machine à refaire la vie (c) D.R.

« Le cinématographe, répétait l’un d’eux, c’est la machine à refaire la vie : une vie adorée, sans qu’on entende ce qu’on voit, ni les pas des passants qui passent à côté de nous, et qui, parfois, nous regardent, ni le bruit de l’eau qui coule, par exemple.

Est-ce le réel, ou son contraire, ou le messie ?  

Dans les journaux, on pose toujours trop de questions. On voudrait bien que les « images animées » soient en couleurs par exemple, et que le mouvement soit plus contrôlé par le réel. On ne veut plus distinguer l’illusion de la réalité. C’est dangereux ce qu’on veut, là, les curieux veulent s’accaparer le cinématographe, parce qu’ils savent, disent-ils prétentieusement, de quelle manière le rendre réel. Elle va être plus dure que je le crois, la bataille avec le réel.


A d’autres endroits, on n’hésite pas à annoncer que le cinématographe rend les tableaux vivants, qui se mettent à bouger, pleurer, rire. C’est de la sorcellerie ! Fantastiquement opiniâtre ! Pas un ne voit dans le cinématographe cette qualité indélébile qui m’a décidé à rendre ma faim, mon sommeil et tout : cette faculté unique à se dégager du goût amer que le réel aime glisser dans la gorge des êtres de toute nature. Le cinématographe s’amuse, dans un premier temps, à flatter le réel, lui promettant beaucoup de plaisir, avant de s’en débarrasser de subtile façon.

À la fin d’une projection, j’aperçus une dame d’un âge avancé, se lever, et s’écrier à elle-même, une chose insensée :

« Quel magicien, dit-elle, ce cinématographe ! Si le cinématographe avait pu « prendre » mon mari avant qu’il ne rende l’âme ; sa jeunesse, sa beauté fascinante, ses gestes si doux, son sourire charmant, et j’en passe, alors j’aurais gardé tant d’espoir et une envie de vivre au-delà de mes modestes moyens. « Voir » les morts que nous avons tant aimé, les ressusciter ! Qu’on se passe de Dieu, ça ira maintenant !

Il y avait ceux qui pensaient le contraire, évidemment, et qui traitaient le cinématographe comme un démon impitoyable, ennemi de Dieu !

On croit pouvoir forcer le cinématographe à s’investir dans le réel. Pas du tout ! La preuve : le monde commence à s’affoler sérieusement, à répéter les mêmes maladresses. On ne sait plus quoi penser du cinématographe. Quoi oser dire. Quoi oser penser. La sculpture, la musique, la poésie n’ont pas eu ce privilège. Bien sûr, on pensait que Beethoven était un fou unique, ivre, et sourd unique, encore. Mais on savait ce qu’il fallait penser de sa musique à ce grand type : parce qu’elle est le reflet de son génie absolu !

Un poète vous aide (c) D.R.

Pour arracher un peu de sang à Delacroix, un poète vous aide : Baudelaire, vous écrit, et vous amène à la source, les lèvres chaudes, préparées.

Le cinématographe est le seul à pouvoir se passer du réel, en se permettant de le tromper continuellement. Il me fascine, et fait enrager ceux qui se sentent écartés de son chemin, parce qu’ils manquent de véritables, de puissants, et d’incorruptibles sentiments.

Ça ne durera peut-être pas toujours. J’y veillerai. Et pour l’instant, il s’en sort admirablement bien. Les opérateurs Lumière continuaient de sillonner le globe. Je vis le couronnement de nouveau Tsar Nicolas II. Et diverses petites « bandes » me remplirent le cœur de bonheur. À peine l’aurore entrait dans la petite chambre de l’hôtel où je réfugiais mes pensées, que je dégringolais dehors pour aller immédiatement sentir l’odeur des rues que je transformais à ma guise pour le cinématographe, et qu’il rendait, à mes yeux, plus humains, et non plus réelle.

L’Humain ne se cachait pas nécessairement dans les êtres de chair et de sang. Je commençais à comprendre…



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