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                  Ces opérations séductions n’escamotèrent 
                    pas pour autant, n’en déplaise à Flavie, le sujet inavoué 
                    du jour : l’éviction subreptice d’Elena (la Russe). Devenue 
                    en moins de deux jours la femme à abattre, elle n’est montrée 
                    que dans ses phases de rébellion au consensus potache de la 
                    troupe et dans ses périodes d’affirmation face aux railleries 
                    incessantes (et pas toujours assumées) de ses nice colofteurs. 
                    Ainsi est-elle interrogée sur ses attributs mammaires, naturels 
                    ou pas ?, traquée pour ses tenues élégantes (trop ?) 
                    et colorées, notamment lorsqu’elle joue à la pétanque en talons, 
                    et moquée pour sa ligne cosmétique toujours impeccable (“ elle 
                    est où miss Russie ? ”, pouvions-nous entendre 
                    ce jour). Dans le même temps, nous la voyons, à son corps 
                    défendant, refuser de servir de support aux expériences picturales 
                    des garçons, ou encore se battre, côté ménage, pour un minimum 
                    d’hygiène, au risque de se faire taxer de maniaque. 
                     
                    La vraie cabale, cependant, est le fait de la production. 
                    Non seulement pointe-t-elle ces moments-là, mais elle s’attache 
                    à façonner une image négative d’Elena par, d’une part l’incursion 
                    de commentaires tendancieux, et d’autre part la diffusion 
                    d’explications, du coup préjudiciables, de l’intéressée elle-même. 
                    De sorte que nous pouvons lire au bas de l’écran des phrases 
                    aussi lourdes que : “ Elena met son veto ” 
                    ou “ La Russie refuse d’intégrer l’Europe des 12 ”. 
                    Et voir la jeune femme au confessionnal raconter qu’elle ne 
                    s’imagine pas se présenter devant ses camarades, et a posteriori 
                    les téléspectateurs, sans être maquillée et apprêtée selon 
                    ses codes (rappelons qu’elle est mannequin et présentatrice 
                    télé en son pays). Même sibylline, du fait des hésitations 
                    et des approximations, la confession vient à point nommé pour 
                    les story editors qui n’hésitent pas à la tronçonner pour 
                    mieux l’égrainer au fil de l’épisode. C’était le cas aujourd’hui, 
                    et je vous en livre le verbatim ramassé et recomposé par mes 
                    soins : “ Moi, j’essaie toujours de faire les 
                    efforts… même pas faire les efforts… mais dans ce groupe je 
                    suis comme tous les autres malgré ma vie précédente c’est 
                    pourquoi je comprends très bien si on se moque de moi. Pas 
                    de problème… C’est tellement difficile d’aller contre soi-même. 
                    Est-ce que ça vaut la peine de faire les efforts ? On 
                    est tous différents, on a des points en commun, énormément 
                    je pense… même si on est dans certaines directions différentes, 
                    je pense c’est normal, c’est la vie. On est tous un peu différents, 
                    tous ”. 
                     
                     
                  
                     
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                  Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre 
                    de manœuvre ? D’un point de vue purement stratégique, 
                    donc commercial, on sent qu’il s’agit d’induire le téléspectateur 
                    vers l’élimination rapide d’Elena : c’est vous qui choisissez, 
                    c’est nous qui tirons les ficelles. Ce sont des signaux, comme 
                    lorsque Karolina (la Polonaise) dit, sans citer personne, 
                    mais d’un air entendu : “ Il y en a qui sont 
                    pas des mêmes sphères, ici ”. Bien sûr, me direz-vous, 
                    venant d’elle c’en est presque risible, dans la mesure où 
                    on est tenté de prendre cela pour une excuse personnelle tant 
                    elle est… les mots me manquent : imaginez l’improbable 
                    progéniture de Julie (la creuse, Loft 1) et de Sandra 
                    (Ch’tiote Nénette, la simplette, Loft 2), voilà, vous 
                    touchez à la vérité… Disons que quand elle ouvre la bouche, 
                    la désolation m’envahit. 
                     
                    Passons. Car si l’on se situe du côté du symbolique, ça devient 
                    un poil plus problématique. En effet, on n’observe ni plus 
                    ni moins qu’une exacerbation des identités et des différences 
                    nationales additionnée à un gommage, si ce n’est une négation, 
                    des identités et différences propres. Dans une émission qui 
                    se propose de “ prendre le temps de se découvrir, 
                    de se connaître et de s’apprécier malgré les dissemblances, 
                    voire les contradictions…[et de] se retrouver […] avec les 
                    différences liées [aux] nationalités respectives… et devoir 
                    cohabiter. ” (A.Laroche-Joubert), on a eu vite fait 
                    de hisser haut les drapeaux de chacun et la panoplie de particularismes 
                    qui les accompagne : chacun est calibré, jaugé et jugé 
                    par le prisme des caractéristiques qui fondent, non pas son 
                    être, mais son appartenance à une communauté nationale, autant 
                    que possible bien distincte des autres. Bien entendu, on s’est 
                    attelé à rester dans le concret, je veux dire dans “ l’immédiatement 
                    identifiable ”, “ le communément admis ”, bref 
                    le folklore et son cortège de différences positives ou en 
                    tout cas acceptées (au pire, acceptables). Ainsi, nous sommes 
                    et ils sont (les nice lofteurs) dans une nébuleuse identitaire 
                    liée au phénomène de réduction/identification qui nous amènerait 
                    à penser la Russie par Elena, la Belgique par Michaël (n’a-t-on 
                    pas eu droit à : “ la Belgique serait-elle exhibitionniste ? ”), 
                    etc. 
                     
                   
                  
                     
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                  Or, que nous dit Elena ? Simplement 
                    qu’elle est consciente d’être différente, avec ou sans considérations 
                    ethniques, raciales, communautaires, que ça ne la gène pas 
                    de marquer sa différence et qu’elle en accepte les conséquences. 
                    Elle demande aussi qu’on l’accepte pour elle-même, ou contre 
                    elle-même d’ailleurs, et non pour ce qu’elle n’est pas : 
                    la Russie. Elle appelle des relations d’égal à égal : 
                    elle n’est pas aux soirées de l’ambassadeur. En ne collant 
                    pas à un horizon d’attente “ communément identifiable ”, 
                    on considère à la hâte, du côté de la production, qu’elle 
                    se met volontairement sur la touche, et ce d’autant plus qu’elle 
                    refuse de “ faire les efforts ”. Sans compter 
                    que son allure soignée, voire guindée, doit être jugée trop 
                    sophistiquée pour 1) correspondre aux clichés russes, 2) s’accorder 
                    à la composition générale de la Villa, 3) permettre l’identification 
                    du téléspectateur moyen. En résumé, tu ne sais pas incarner 
                    la Russie, toi Elena, tu ne nous intéresses pas. 
                     
                    Autrement dit, TF1 attise la pensée communautariste d’une 
                    main et de l’autre étouffe l’égalité. 
                     
                    Nice People, plus qu’une émission culturelle, un programme 
                    républicain.  
                     
 
                  
                    
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