Et, consubstantiellement, à une quasi déification de la critique
anonyme. Après, tout le monde y peut écrire des romans (Bénédicte
Martin et son Warm up surhypé ne sont qu’une énième illustration
de la désagrégation en direct live de la littérature), après
tout le monde y peut être deejay (écouter, du moins tenter,
un set d’Ariel Wizman ou de Jarvis Cocker procure un immense
décrochage de la mâchoire non remboursé par la Sécu, vu l’état
de celle ci on s’abstiendra de s’appesantir outre mesure sur
la question), après tout le monde y peut faire des films avec
sa DV (le cinéma existe, quel que soit son mode de support,
m’assurait mordicus un pote y a pas longtemps dans une
file d’attente d’adolescente : mouais, personnellement,
à l’instar de Pernault, je préfère légèrement les croissants
de ma boulangère mal lunée à ceux du Leader Price concomitant),
après tout le monde en parle, voici tout le monde y peut devenir
critique cinoche.
Ce
qui est, alors que de nos jours donner son avis ne revient
plus à fourrer un bulletin de vote dans une urne mais à composer
un numéro surtaxé pour affirmer, dans un élan de civisme ultime,
que « waouh, elle est bonne Massenet » ou bien « heureusement
qu’il y a des Henri Salvador sinon le monde y serait bien
triste » (on passera sur les fautes d’orthographe), préoccupant
et alarmant. Ce qu’on retire au peuple, les clopes et bientôt
toute forme de plaisirs, celui-ci le récupère ailleurs, dans
l’illusion en l’occurrence. Un mensonge qui récemment s’est
actualisé sur les affiches de Père et fils, puis
sur celles des Invasions barbares. Deux films à visée
ultra positive, dialoguant donc avec ce que le public réclame
en masse : du bonheur, ce qui n’est guère condamnable
par les temps de disette épicurienne qui courent mais fortement
inquiétant sur l’état des mentalités et sur leur manque de
discernement : personne ne semble avoir remarqué le caractère
ouvertement homophobe du film de Boujenah pas plus que l’habileté
réactionnaire de Arcand.
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Désormais,
les studios ne font plus systématiquement appel à des extraits
de critiques, squattant régulièrement les affiches, pour soutenir
ou rattraper un film, mais bel et bien au public qui, si une
certaine frange est rôdée aux rudiments et à la mécanique
de la critique professionnelle, n’en est pas pour autant un
spécialiste de la chose. Un sentiment corroboré par une nouvelle
technique d’appréciation : le taux de satisfaction qui,
couplé au box-office, donne de plus en plus d’importance au
jugement de la masse. Ainsi, le Denys Arcand recueillerait
85 % d’avis favorables, si l’on en croit les placards sur
la nouvelle affiche des « Invasions ».
Ce
nouvel avatar de la critique désintégrée ne semble avoir pour
seule finalité que la consolidation de la chose. Il se répand
dans l’opinion comme un parfum délétère et illégitime :
monsieur et madame Tout le monde ont leur mot à dire, leur
avis à exprimer. Le débat cinéastes /critiques de 1999 n’était
qu’un apéritif qui, en souterrain, a nourri la bête. Il serait
aisé de jeter la pierre sur un seul des commensaux :
la critique professionnelle s’étant appauvrie, raisonnement
squelettique, vocabulaire aride, expressions toutes faites
(« rien que du bonheur », «un chef d’œuvre »),
il est maintenant difficile de séparer le bon grain de l’ivraie,
et chacun de s’arroger le droit de l’ouvrir. Ainsi, une amie
proche qui, la semaine dernière, alors que nous devisions
pour la énième fois autour d’ Elephant, se proposa
de fonder une revue composée de critiques lambdas. A t-on
déjà vu une maison entièrement bâtie par des apprentis ?
Chaque chose à sa place, et les MOUTONS, les éléphants seront
bien gardés.
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