Alors que Tf1 se lance dans le pari (réussi)
de La Ferme Célébrités, M6 surenchérit avec ces Colocataires,
sorte d’épisode de Friends géant dans lequel deux appartements
se font face : celui des filles et celui des garçons. Car
c’est la construction même du lieu de cette colocation, et son
utilisation, qui font sa particularité. Les garçons et les filles
sont séparés toute la journée. Ils peuvent s’observer les uns
les autres à travers une vitre digne des plus belles devantures
du quartier rouge d’Amsterdam. Pendant quelques heures, en fin
d’après-midi, la vitre s’ouvre et les deux groupes peuvent se
rencontrer. Ces quelques moments créent des liens inter sexes
qui sont immédiatement brisés par la fermeture intervenant en
fin de soirée. Le besoin croît donc, chacun de son côté pour
mieux éclater au moment de l’ouverture suivante. Et le public
observe ainsi cette frustration exacerbée n’ayant pour unique
but que les uns sautent sur les autres. Le seul moyen de communication
entre les deux appartements est appelé le « studio ».
Chambre tapissée de rouge et n’ayant pour seul mobilier qu’un
lit king size et une douche pour deux personnes. La production
invite 2 participants de leur choix à s’y rendre pour quelques
heures en espérant pouvoir filmer des ébats coquins. Le casting
est également à la hauteur avec des bimbos blondes d’un côté
et de jeunes garçons musclés de l’autre. Ces jeunes personnes,
issues pour la plupart des milieux branchés, font partie de
cette génération « Star à tout prix », imaginant que
l’accomplissement de soi passe par un passage à la télévision,
propulseur facile et express vers une carrière dans le show-business.
Autant dire que le naturel a peu de place.
Malgré la présence de quelques spécimens
fort avenants, le résultat est pour l’instant très médiocre
(d’un point de vue comptable). Du côté de l’audience, M6
se fait littéralement étaler par la ferme Jet Set. Et dans
la colocation, le sexe n’est pas au rendez-vous malgré les
efforts de l’organisation. Ce ne sont pas les quelques baisers
volés qui satisferont la soif de la masse. Seules les midinettes
y trouveront leur compte. Les déviations perverses de la
télévision du troisième millénaire atteignent aujourd’hui
véritablement leurs limites. A la naissance du mouvement,
les participants, ne réalisant pas réellement l’impact de
la chose, n’hésitaient pas à tout lâcher. Aucun tabou. Aucune
limite. Ce trash initial est difficilement retrouvable par
essence : des participants conscients de la portée
de leur moindre geste car témoins des exploits, ou déconvenues,
de leurs prédécesseurs n’auront plus la même attitude, aussi
déjantés et extravertis soient-ils. Les colocataires
semble ainsi être condamné à durer pendant encore de longues
semaines, ne constituant qu’un nième ersatz du reality show
initial, et ne laissant quasiment aucun espoir au mateur
basique faisant fonctionner son magnétoscope dans l’espoir
de pouvoir saisir un sein ou des fesses.
La justification de l’émission est
pour ainsi dire nulle. Surfer sur la vague AubergeEspagnole n’est pas un argument suffisant. L’aspect
sexuel est clairement revendiqué par le casting et par la
constitution même du jeu. A la télévision même donc de s’interroger
sur ce qu’elle souhaite montrer. S’il s’agit de montrer
du sexe, alors montrez du sexe. Mais cette attitude de mener
à penser que…, et ce en poussant au maximum les participants
à… constitue une véritable manipulation de masse. On peut
se réjouir de l’échec de l’aventure, mais quelle sera la
suite ? Alors que TF1 semble s’être résigné (après
le fiasco Nice People ) et concentré sur le
trash soft (Bataille et Fontaine ou le Maillon Faible notamment),
M6 persiste en poussant le concept à ce qui semble être
son paroxysme. Une chaîne de charme aux Etats-Unis a organisé
de manière clairement assumée un reality show identique
promettant à la gagnante un contrat avec une boîte de production
de films X. Même si cet exemple ne verra certainement pas
le jour dans l’Hexagone, il prouve bien que tout est imaginable,
même le plus crasseux. Pendant que les chaînes privilégient
aujourd’hui la production de ce genre d’émission pour des
sommes faramineuses (le salaire des « stars »
de la Ferme atteindrait 76.000 € par semaine) à l’investissement
dans le cinéma hexagonal, c’est à la population de montrer
que la mission de la télévision est d’être un vecteur culturel
et non une vitrine de la bêtise humaine ou un créateur de
stars éphémères.