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  LE ZOOM DES TALK-SHOW
Par Nicolas MATHIEU


Les comportementalistes tentent de démontrer que nos gestes nous trahissent. On pourrait aussi s’intéresser à ce que les mouvements de caméra dénoncent.

Article fondateur à plus d’un titre, De l’abjection, écrit par Jacques Rivette et paru en juin 1961 dans les Cahiers du cinéma, dénonçait avec virulence Gillo Pontecorvo et plus encore l’un des travellings de son film Kapo. Exemple fameux de mise en scène dénoncée, on pouvait y lire : « L’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. » Il s’agissait en l’occurrence de recadrer le corps sans vie d’une prisonnière accrochée aux fils de fer barbelés d’un camp de concentration allemand. Ces quelques lignes, pour négligeables qu’elles puissent paraître, eurent sur la cinéphilie et la critique française une influence considérable. Elles venaient de lier inextricablement le cinéma et la morale, l’éthique et le style, la mise en scène et la dignité. Rivette avait trop de foi en l’image pour permettre qu’on fît du beau avec la mort. Jean-Luc Godard ne dirait pas autre chose en affirmant que le travelling est « affaire de morale. »

  Serge Daney (c) D.R.

Le critique Serge Daney fit par la suite de  cet article un des piliers conceptuels de sa grille d’analyse, rédigeant des textes sur cette figure maudite qui devint dès lors ce mot de passe pour cinéphiles : « le travelling de Kapo ».

D’aucuns considèrent aujourd’hui que le cinéma et la morale n’ont plus rien à faire ensemble. La foi dans les images s’est beaucoup émoussée et celles-ci prennent désormais de grandes libertés avec le monde, que jadis elles capturaient, qu’à présent elles inventent. On peut aussi réhabiliter Pontecorvo et interpréter différemment son fameux travelling (L’analyse de séquences, Jullier, p142). Toujours est-il que certains mouvements de caméra me semblent encore à présent abjects et méprisables.

On sait l’industrie de la Télé-psy en général et du talk-show testimonial en particulier, florissante. Cette entreprise consiste à récolter les témoignages de « vrais gens » (à opposer aux élites médiatisées, uniques et véritables seigneurs de la société spectaculaire), dans le but de produire de l’image, du son, de l’émotion, en un mot, du spectacle. De Vis ma vie à Y’a que la vérité qui compte en passant par ça se discute, ces programmes abondent et les méthodes varient, plus ou moins contestables, mais ce Barnum du vécu reste prospère. Dans l’ensemble, le péquin fait recette, les coûts minimes (le témoignage vécu est une denrée gratuite) permettant des profits conséquents.

Mais ce qui nous intéresse ici n’est pas le principe de ces émissions, c’est l’ignominie de certaines mises en scène.