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Y'a que la vérité qui compte (c) D.R.

L’un des buts avérés de ces programmes est la recherche effrénée d’émotion. Aussi n’est-il pas rare de voir un invité témoin verser une larme, ou s’il veut bien être « bon client », éclater littéralement en sanglots.

Et c’est à ce moment que se produit le geste infect : le réalisateur zoome !

Il se précipite de tout son objectif pour capter le visage défait du malheureux témoin consentant. Sous l’effet double de la remémoration et de l’exposition médiatique, celui-ci vient de craquer, aidé peut-être en cela par un animateur surjouant l’empathie tandis qu’il soulignait l’aspect effectivement dramatique du témoignage. En somme, le dispositif télévisuel se charge de tirer les larmes, le zoom parfait ce mouvement et vient littéralement les arracher. Reste pour le public à se repaître, à satisfaire sa pulsion scopique.

  Shinning (c) D.R.

Le travelling de Kapo semble bien innocent en comparaison de ce zoom des talk-show. Parce que tout d’abord, le zoom, contrairement au travelling, est par essence une figure stylistique discutable. Zoomer revient à percevoir un surplus d’information, à dépasser les facultés humaines, voir plus sans avoir à se déplacer. C’est donc un mouvement paresseux, qui contrairement au travelling n’exige pas qu’on change de point de vue. C’est un geste immobile et voyeur, masturbatoire on dit certains, lâche, qui veut plus et mieux sans effort, sans risque, sans avoir à toucher du doigt ce qui est donné à voir. C’est un geste pauvre et inhumain, glacial et pervers, que la plupart des réalisateurs évitent, si ce n’est pour exprimer quelque chose de précis (voir les zooms associés au personnage de Dany dans Shining et qui symbolisent ses facultés médiumniques, son don de voir plus et mieux que le commun des mortels).

Sans doute le comportement du Nord vis-à-vis du Sud est-il une sorte de zoom gigantesque. On regarde, on s’inquiète, les infos défilent, on se lamente pour ces malheureux, la guerre, la faim, les pandémies, on veut savoir, mais pas question d’aller y fourrer son nez. Zoomer, c’est faire l’économie de la proximité.

Pontecorvo (c) D.R.

Ensuite, si dans le film de Pontecorvo on pouvait juger infâme un mouvement parce qu’il ne respectait pas une mort fictionnelle, que penser d’une figure qui méprise ainsi une personne réelle ? Les gens qui sont conviés sur les plateaux de TV, obnubilés par l’illusion que produit cette dernière (le poste est au centre de mon salon, de mes soirées, donc occupe une position centrale dans mon existence et les gens qui y œuvrent sont l’essieu de notre société), se précipitent et donnent leur for intérieur en pâture à des producteurs cyniques et à des spectateurs voraces. L’alibi cathartique (cf. Lacan : « il y a des choses qui vont sans dire et d’autres qui vont mieux en le disant », donc témoigner c’est se purger de ses maux) ou le prétexte oiseux de l’édification des masses ne peuvent masquer longtemps l’anthropophagie émotionnelle du dispositif télévisuel. Sans respect, sans pudeur, sans égard, les zooms dépècent la viande humaine, livrent les âmes et les corps au voyeurisme rapace des spectateurs.

Serge Daney disait que le cinéma exige une attitude morale. Car filmer c’est montrer, et montrer étant un acte, il implique de fait une éthique. On peut penser que cette exigence morale est plus forte encore concernant la télévision quand elle se mêle de d’exposer des êtres réels et de diffuser leurs histoires vécues. « Le zoom des talk-show » (terme générique qui n’épuise pas le problème, ce genre de figures ne se limitant pas aux dits talk-show et n’étant sans doute pas systématiques dans le cadre de ceux-ci) est le signe indiscutable d’une corruption des intentions, des protagonistes et des fins du dispositif télévisuel. Aussi, un seul mot d’ordre : Subvertir. On pourra par exemple se régaler des visites du chanteur Arno qui prend toujours un malin plaisir à bousiller le cadre des émissions où il sévit, ne répondant pas aux questions, quittant le plateau quand il s’y ennuie, insultant l’animateur s’il s’estime harcelé. Gageons qu’un zoom sur son visage ne trouverait pour le recevoir qu’une grimace de défi.



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