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« Il n’y a pas de Garbo
! Il n’y a pas de Dietrich ! Il n’y a que Louise
Brooks ! » Une exclamation faite par Henri Langlois,
son plus grand fan, celui qui a orchestré son
retour en grâce auprès des cinéphiles (de l’autre
côté de l’Atlantique, ce travail a été opéré
par James Card). En 1955, il la choisit comme
égérie de sa rétrospective consacrée à soixante
ans de cinéma. Loulou revient dans la légende.
Pour toujours…
« Je suis une blonde aux cheveux noirs » Disait
Louise Brooks. Et c’est ce que la postérité
a retenu d’elle : une coupe ébène (coupe à la
garçonne que l’on ne nomme plus aujourd’hui
que « Coupe Louise Brooks », même portée par
Amélie Poulain) contre une peau laiteuse. Il
faut dire que le pic de sa carrière n’a guère
duré que… deux ans, de Une fille dans chaque
port de Howard Hawks en 1928 à Prix de beauté
d’Augusto Genina en 1930. C’est entre les deux
qu’elle a tourné Les Mendiants de la vie de
William Wellman, The Canary Murder Case de Malcolm
Saint Clair, et bien sûr Loulou et Journal d’une
fille perdue de G.W. Pabst. Le pire, c’est qu’il
ne s’agit même pas d’un exil volontaire comme
celui de Garbo : l’actrice est tout simplement
passée de mode au début des années 30 et toutes
ses tentatives de come-back ont échoué. Pas
de destin tragique non plus à la Marilyn : Louise
Brooks a vécu jusqu’en 1985, s’éteignant à l’âge
de 79 ans dans son petit appartement de Rochester
(dans l’état de New York).
DES ANNEES 20 A AUJOURD’HUI
Louise Brooks naît en 1906 dans le Kansas
- comme l’héroïne du Magicien d’Oz. A quinze
ans, cette fille d’une famille aisée part pour
New York suivre des cours de danse et se retrouve
vite Ziegfeld girl. La Paramount lui signe un
contrat de cinq ans en 1925. En
très peu de temps, elle multiplie les apparitions
: The Street of Forgotten Men en 1925, The American
Venus, A Social Celebrity, It’s the Old Army
Game, The Show-off, Love ‘Em and Leave ‘Em et
Just Another Blonde, tous en 1926, Evening Clothes,
Rolled Stockings, The City Gone Wild et Now
We’re in the Air, tous en 1927. Elle
épouse au milieu de tout ça son metteur en scène
de It’s the Old Army Game, Edward Sutherland.
Leur union dure de juillet 1926 à juin 1928,
l’actrice se déclarant alors « inapte au mariage
» - ce que confirmera son second divorce de
Deering Davis en 1938, au bout de cinq ans.
FEMME-FEMME… &
HOMME
En 1928 arrivent Une fille dans chaque port
de Howard Hawks et Les Mendiants de la vie de
William Wellman. L’idylle cinématographique
avec Hawks semble une évidence : le réalisateur,
celui qui, plus tard, fera de Lauren Bacall
l’équivalent féminin d’un Bogart, aime les femmes
comme elle, indépendantes, fortes et dotées
d’un humour caustique. Il en fait d’ailleurs
une plongeuse de cirque et la filme à plusieurs
reprises en train de sauter dans un baquet de
bois ! Devant la caméra de Wellman, elle ne
vole plus tant aux hommes leur caractère que…
leur costume, son travestissement en veste et
pantalon demeurant l’un des plus troublants
du septième art. Elle joue une jeune fille qui
tue son père en état de légitime défense et
s’enfuit en compagnie d’un vagabond, déguisée
en homme. Le tout sur fond de crise économique
et sociale. Sa déjà célébrissime coiffure est
ramenée sous une casquette de gavroche…
EXIT MARLÈNE, VIVE PABST !
Suit un second rôle en 1929 dans la comédie
policière The Canary Murder Case de Malcolm
Saint Clair. Le rôle lui rappelle ses débuts
: celui d’une danseuse de music-hall au costume
bardé de plumes. C’est alors que Georg Wilhem
Pabst la réclame : ce cinéaste autrichien a
tourné des films comme La Rue sans joie, L’Amour
de Jeanne Ney, ou Crise, dans lesquels il mêle,
dans un style expressionniste, rapports de classe
teintés de cruauté et dimension sexuelle trouble.
La légende raconte que Marlène Dietrich était
dans le bureau de Pabst, prête à signer son
contrat pour Loulou… lorsque Louise Brooks a
envoyé valser son contrat avec la Paramount
afin de suivre le réalisateur en Allemagne.
Dès lors le rôle-titre, inspiré de la pièce
de Wedekind, reste à jamais lié à la magie dégagée
par l’actrice et à son destin tragique dans
les bras de Jack l’Eventreur. La même année,
le metteur en scène filme de nouveau sa star
dans Journal d’une fille perdue. Cette diatribe
contre la bourgeoisie de l’époque subit les
foudres de la censure. Les cinéphiles y voient
pourtant aujourd’hui l’un de ses meilleurs films.
COME-BACK ?
Forte de ces deux chefs-d’œuvre, Louise
Brooks rentre à Hollywood… où son esprit d’indépendance
et son anti-conformisme la rendent déjà indésirable.
En guise de représailles, la Paramount double
sa voix dans The Canary Murder Case. L’actrice
décroche en France un rôle dans le charmant
Prix de beauté, co-écrit par René Clair et dirigée
par Augusto Genina. Puis elle tente de nouveau
de réveiller le désir de ses compatriotes, en
vain : elle a beau laisser pousser sa frange
(oui !), jouer les troisièmes couteaux aux côtés
de Carole Lombard dans It Pays to Advertise
ou devant la caméra de Michael Curtiz dans God’s
Gift to Women en 1931, rien n’y fait - il faut
dire qu’elle aurait refusé d’apparaître aux
côtés de James Cagney dans L’Ennemi public,
qui aurait pu relancer sa carrière. On la voit
encore dans Empty Saddles (1936), Le Cœur en
fête avec Cary Grant et King of Gamblers en
1937. Elle jette l’éponge après son ultime film,
Overland Stage Raiders (1938) avec John Wayne.
LE TEMPS DES HOMMAGES
Louise Brooks se retire définitivement des
écrans. Elle essaie de renouer avec ses premières
amours en donnant des cours de danse à Beverly
Hills, puis à Wichita. On raconte même qu’elle
aurait été vendeuse dans le grand magasin new-yorkais
Saks Fifth Avenue, au tarif de 40$ la semaine…
Exilée en 1956 à Rochester, dans l’état de New
York, elle lit, elle peint, et surtout, elle
écrit : des lettres (magnifiques, dont beaucoup
ont été publiées), mais aussi des articles au
ton incisif, donnant sa vision personnelle de
l’usine à rêves. Ses textes sont autant de témoignages
mordants et passionnants sur le vieil Hollywood.
En 1974, son livre Louise Brooks par Louise
Brooks est un succès. Entre-temps, les cinéphiles
l’ont remise sur son piédestal. Jean-Luc Godard,
par exemple, lui a rendu hommage via Anna Karina
dans Vivre sa vie : sa beauté, sa coiffure alimentent
tous les fantasmes, mais aussi cette indépendance
farouche et cet avant-gardisme qui lui ont coûté
si cher. Louise Brooks s’éteint le 8 août 1985.
LE COFFRET
DVD 1 – LOULOU
Die Büchse der Pandora - Allemagne – 1929
Un film de G. W. Pabst avec Louise Brooks (Loulou),
Fritz Kortner (Peter Schoen), Franz Lederer
(Alva Schoen)
« Le scénario s’inspire de deux pièces du grand
dramaturge expressionniste allemand Frank Wedeking
: L’Esprit de la terre (1893) et La Boîte de
Pandore (1901). Loulou est à la fois la cause
du déchaînement des tempêtes de la passion et
l’incarnation de la nature, de la vitalité pulsionnelle
opposée aux tabous imposés par la "culture"
d’une société prisonnière d’une "morale"
immorale : en ce sens, elle est parfaitement
innocente des drames qu’elle suscite. Elle représente,
pour le meilleur et pour le pire, l’"éternel
féminin" : c’est une créature totalement
possessive dans ses désirs érotiques, mais profondément
désintéressée dans ses rapports avec les hommes,
à la fois force de vie et instrument de destruction,
dont l’existence et la mort sont l’illustration
de la dialectique freudienne Eros-Thanatos.
On comprend que cette image vénéneuse et provocante
de la femme libre ait fait scandale à l’époque
: le film a été mutilé et défiguré par la censure.
» (Marcel Martin in Dictionnaire des Films)
LES BONUS : PABST PAR BROOKS Quand
Louise Brooks évoque ses relations avec son
réalisateur G.W. Pabst. Un texte magique et
magnifique, lu par Sabine Azema…, PABST CINÉASTE
Portrait de G.W Pabst, l’homme qui a magnifié
Louise Brooks pour la postérité, mais aussi
le réalisateur de films muets aussi essentiels
que La Rue sans joie et L’Opéra de quatre sous,
ANALYSE DU FILM Par Jacques Siclier.
DVD 2 - LE JOURNAL
D’UNE FILLE PERDUE
Das Tagebuch einer Verlorenen - Allemagne
– 1929 - Un film de G. W. Pabst avec Louise
Brooks (Thymiane), Joseph Rovens (Henning),
Fritz Rasp (Meinert)
« Un âpre drame social où Pabst règle ses comptes
avec une bourgeoisie qu’il juge haïssable et
hypocrite. Tout comme dans La Rue sans joie,
réalisé quatre ans auparavant, certaines scènes
sont devenues des morceaux d’anthologie : citons
pour mémoire les scènes du réfectoire de la
maison de redressement où l’on sert une soupe
innommable aux détenues. Plus que Loulou, Trois
pages d’un journal eut à souffrir des rigueurs
de la censure, et le dénouement du riche mariage
fut imposé à Pabst. » Michel Azzopardi in Guide
des films
LES BONUS : LOOKING FOR LULU (52
mn) Documentaire sur Louise Brooks, réalisé
par Hugh Munro Neely et écrit par Barry Paris,
auteur d’une biographie de l’actrice. A l’aide
d’images d’archives, d’extraits de films, d’interviews,
le film retrace la vie de la star. Et ACCOMPAGNEMENTS
MUSICAUX, dont une bande-son exclusive mêlant
la mélodie au texte, écrite par Roberto Tricarri
et dite par Hanna Schygulla.
DVD 3 - PRIX DE BEAUTÉ
France – 1930 - Un film d’Augusto Genina
avec Louise Brooks (Lucienne Garnier), Jean
Bradin (le prince de Grabovsky), Georges Charlia
(André)
Ce film qui démarre comme une comédie et s’achève
en tragédie a été écrit par René Clair… sur
une idée de G.W. Pabst. Il fut d’abord tourné
comme un film muet, avant d’être sonorisé en
quatre langues. Selon Jacques Siclier : « Louise
Brooks brille, là, de ses derniers feux, malgré
la voix française d'Hélène Regelly qui chante
"Ne sois pas jaloux, tais-toi". Ce
n'est plus la triomphante Loulou mais une femme
piégée. La dernière scène est sublime. Étrange
destinée que celle de Louise Brooks... La femme
libre que Pabst avait révélée paye-t-elle de
sa vie d'avoir cédé à l'appel des sirènes des
marchands d'illusion ? »
LES BONUS : QUATRE PAS VERS LE MYTHE
Chronologie s’arrêtant sur quelques moments
clés ayant fait de l’actrice du muet l’icône
qu’elle est aujourd’hui : Flapper ! : Louise
Brooks et les années 20, Surréaliste : comment
l’actrice a inspiré les surréalistes des années
30, "Il n'y a pas de Garbo, il n'y a pas
de Dietrich !" : la réhabilitation de la
star au milieu des années 50 par son plus grand
fan, Henri Langlois et Nouvelle Vague : ou comment
les jeunes loups des années 60 ont repris le
mythe – cf. Anna Karina dans Vivre sa vie ou
Brigitte Bardot dans Le Mépris, COMIC BROOKS
Avec son casque de cheveux noirs, Louise Brooks
a inspiré de nombreux dessinateurs de bande-dessinée…
à commencer par Hugo Pratt. Entretien avec le
spécialiste Gilles Ciment, et avec l’illustrateur
Floc’h., ICÔNE DE MODE En son temps, la star
a posé pour de nombreuses photos de mode… Plusieurs
décennies après, son style androgyne est toujours
copié par les créateurs et sa coupe ne cesse
d’inspirer, surtout le grand écran. N’est-ce
pas, chère Amélie Poulain ? Une évocation émaillée
d’entretiens avec Chantal Thomass, John Nollet…
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