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Mother India
est le grand classique du cinéma Bollywood.
Reconnu par le public et la critique dès la
fin des années cinquante, il continue d’être
projeté dans de nombreuses salles indiennes.
Une splendeur hors du commun retraçant le destin
tragique d’une héroïne jouée par Nargis, immense
star parmi les stars. Et, sur le DVD, en bonus,
Le Mythe Mother India, un documentaire
inédit sur le film (interviews, images d’archives…)
Le réalisateur Mehboob
Khan
Si l’on demande
à un cinéphile occidental de citer un cinéaste
indien au hasard, il risque fort de répondre :
Satyajit Ray. Un nom prestigieux et synonyme
d’un cinéma ascétique mondialement acclamé par
la critique. A l’inverse, un natif de Bombay,
Delhi, Madras ou Calcutta mentionnera probablement
un nom qui évoque le cinéma populaire, avec
tout ce que cela comporte d’envolées mélodramatiques
et de chansons, un nom comme celui de… Mehboob
Khan.
Pourtant, son
cinéma est loin de n’être que légèreté des intrigues
et plaisir des danses. Son thème favori ?
La lutte des pauvres contre les riches. Mais
à travers un style très expressif qui, au-delà
des différences de dialectes, au-delà des différences
de classes, a conquis l’ensemble du public indien
- et même plus.
Né en 1907 dans
le village de Bilimora, dans la région de Gujarat,
Mehboob Khan quitte ce monde rural dans lequel
il a grandi pour devenir homme à tout faire
à Bollywood. En 1927, on l’aperçoit en voleur
dans une version d’Ali Baba et les quarante
voleurs. En 1935, il tourne son premier
film pour la compagnie Sagar Movietone :
Judgement of Allah, inspiré de la fresque
de Cecil B. De Mille, Le Signe de la croix,
tournée trois ans plus tôt. Cette épopée riche
en drames, en batailles et en catastrophes naturelles
obtient un immense succès, qui lui vaut ce surnom
qui lui collera à la peau, celui de « Cecil
B. De Mille indien ».
D’autres titres
suivent (Manmohan en 1936, Jagirdar
en 1937, Ek hi Raasta en 1939), jusqu’à
l’écroulement de la Sagar Movietone au
début de la seconde guerre mondiale. La firme
est reprise par RCA et rebaptisée National Studios.
Mehboob Khan y aligne une suite de trois chefs-d’œuvre :
Aurat (1940), Bahen (1941) et
Roti (1942). Dans le premier, un pré-Mother
India, il décrit la lutte d’une paysanne
pour garder sa terre. Le dernier est une attaque
féroce du capitalisme, qui oppose le système
des villes, basé sur la valeur de l’argent,
et celui des tribus, nettement plus authentique.
La fin montre le riche héros mourir de soif
dans le désert, près d’une voiture remplie de
lingots d’or...
En 1943, le
cinéaste quitte National Studios pour fonder
sa propre compagnie : Mehboob Productions,
dont l’emblème est une faucille avec un marteau.
Son cinéma militant y prend un tour parfois
plus léger ou, en tous cas, plus populaire.
En 1946, Anmol Ghadi réunit trois des
acteurs-chanteurs les plus connus de l’époque,
Surendra, Noorjehan et Suraiya, avec une partition
de Naushad, qui composera, dès lors, toutes
ses musiques. Arrivent ensuite Aan (1952),
son premier film en couleurs, Amar (1954)
et ce classique absolu qu’est Mother India
(1957).
En 1962, Mehboob
Khan subit, avec le très ambitieux Son of
India, son premier échec… qui est aussi
le dernier : il meurt en 1964, en pleine
préparation d’un film sur Habba Khatoon, poétesse
du XVIème siècle.
La star
En Inde, tout
le monde connaît la mythique Nargis. Fille de
l’actrice, chanteuse et réalisatrice Jaddanbai,
elle naît Fatima Rashid en 1929 et, à cinq ans,
devient une enfant star, sous le nom de Baby
Rani. Elle démarre sa carrière d’adulte
en 1943 lorsqu’elle est choisie par Mehboob
Khan pour Taqdeer. Le réalisateur l’engage
à nouveau pour Humayun (1945) et Andaz
(1949) puis, bien sûr, pour le célébrissime
Mother India (1957). Elle campe souvent
des femmes prises dans des histoires d’amour
tragiques, par exemple le trio amoureux d’Andaz.
Hors-champ,
sa vie sentimentale suscite aussi la fascination :
elle a une liaison avec l’acteur Raj Kapoor,
déjà marié, et qui devient, malgré tout, son
partenaire de prédilection (dans Andaz,
puis dans Pyaar et Jan Pahchan
en 1950, Bewafa, Ashiana, Anhonee
et Amber en 1952 ou Dhoon et Aah
en 1953), mais aussi l’un de ses metteurs en
scène fétiches (Aag en 1948, Barsaat
en 1949, Awaara en 1951 et Shree
420 en 1955). La passion qu’ils éprouvent
l’un pour l’autre transparaît sur l’écran et
enflamme le cœur des spectateurs. L’actrice
tente même d’intervenir auprès du ministère
de l’Intérieur afin qu’il les marie… mais sans
succès ! Le duo finit par se séparer après
un ultime film ensemble : Chori Chori
(1956), une comédie inspirée du New York
- Miami de Frank Capra.
Sur le plateau
de Mother India, Nargis fait la connaissance
de Sunil Dutt, qui joue son fils – il n’est
pourtant né qu’un an après elle. La légende
raconte que lors du tournage, la star aurait
été prise dans l’incendie de meutes de foin,
et que Sunil Dutt l’aurait sauvée des flammes.
Ils se marient peu après. Nargis ne tarde pas
à quitter le monde du septième art, et s’occupe
de son fils, Sanjay Dutt, qui deviendra lui-même
acteur. Elle meurt d’un cancer en 1981. En sa
mémoire, son mari crée la Nargis Dutt Memorial
Foundation, une association de lutte contre
le cancer.
Mother India, Le
classique de Bollywood
Dans l’Inde
de la fin des années cinquante, la sortie de
Mother India fut comparable à la sortie
américaine, vingt ans plus tôt, de ce film auquel
on le compare si souvent : Autant en
emporte le vent. Ces fresques issues chacune
des deux usines à rêves les plus puissantes
de la planète ont embrasé la critique et le
public. Et à l’anecdote de Vivien Leigh, choisie
alors qu’elle assistait au tournage de l’incendie
d’Atlanta, répond celle de la star Nargis, sauvée
des flammes par son partenaire et futur mari
Sunil Dutt !
Intemporel…
universel...
Aujourd’hui
encore, Mother India demeure un classique
que la population indienne aime à voir et à
revoir. Le film est régulièrement projeté dans
les salles et continue de faire vibrer les foules.
Les raisons d’un tel succès ? La poésie
lyrique, le climat de fatalisme et le romantisme
exacerbé de la réalisation fonctionnent toujours
auprès de spectateurs avides de grandes histoires,
et auprès desquels les codes cinématographiques
n’ont guère varié au fil des années. De même,
les thèmes de la lutte des pauvres contre les
riches et des bons contre les méchants, de la
survie des campagnes face aux sécheresses et
aux catastrophes naturelles, de l’importance
de l’alphabétisation et de l’équilibre entre
traditions et modernité, constituent-ils des
éléments fédérateurs, pas forcément si éloignés
du quotidien actuel d’une partie des habitants.
Sans oublier bien sûr le pouvoir hypnotisant
des chants et des danses !
Inspirations
Pourtant,
il aura fallu cinq ans au réalisateur Mehboob
Khan pour concrétiser ce projet ambitieux. Il
s’y attelle dès 1952, juste après le succès
de son premier film en couleurs, Aan,
et ne s’interrompt que le temps de tourner Amar
deux ans plus tard. S’il en fait le remake
d’un de ses premiers films, Aurat (1940),
il s’inspire aussi du Mother India signé
de son compatriote Gunjal (1938). Familier de
l’œuvre de l’écrivain Pearl S. Buck, il songe
également à l’une de ses nouvelles, The Mother,
écrite en 1933, et qui relate la lutte d’une
Chinoise abandonnée par son mari, ainsi qu’au
film que Sidney Franklin, en 1937, a tiré de
son roman The Good Earth, et où Paul
Muni campe un fermier chinois malmené par le
destin.
Un spectacle
tout en symboles
Lui-même issu
d’un village pauvre, le metteur en scène n’a
aucune difficulté à donner vie au monde rural
qu’il dépeint. Mais il y ajoute un goût du symbolisme
très fort qui transcende ses scènes du quotidien.
Il est évident que son héroïne, Radha, alias
Nargis, incarne l’Inde elle-même, dans toute
la splendeur de son combat pour l’indépendance,
la dignité et le bonheur des siens. Ce n’est
pas un hasard si elle garde la tête haute même
face aux pires difficultés, et surtout, si elle
ne se laisse ni vendre ni acheter. De nombreux
plans recyclent l’esthétique du cinéma soviétique,
que ce soient les cadrages très serrés sur le
visage martyre de la femme, les arrière-plans
aux teintes de feu qui expriment toute la profondeur
du drame, ou ces scènes de dur labeur au milieu
d’une nature pourtant foisonnante. Le jeu des
couleurs a lui aussi été très travaillé. Si
le réalisateur a voulu faire de son film le
plus grand spectacle possible, et a, pour cela,
utilisé le Gevacolor, un procédé proche du Technicolor,
et développé ses pellicules à Londres, il a
avant-tout voulu restituer la signification
de chaque teinte via l’éclat de ses images :
par exemple, une belle copie nous montre que
l’épouse porte un sari rouge vermillon, alors
qu’une femme âgée se plie au rouge sombre...
En route vers
l’oscar ?
Cet hommage
à la fois à l’adversité féminine et à la beauté
de l’Inde, a été le premier film indien à se
voir nommé à l’oscar du meilleur film étranger.
C’est Les Nuits de Cabiria de Federico
Fellini qui a remporté la statuette. Mother
India n’en demeure pas moins à Bollywood,
au même titre qu’Autant en emporte
le vent à Hollywood, une référence en matière
de grande fresque populaire, la « mère »
des superproductions actuelles.
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