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Lundi Matin (c) D.R. LUNDI MATIN
d'Otar Iosseliani
Par Jean-Baptiste LOUVET


SYNOPSIS : Vincent, père de famille à la campagne, ouvrier-soudeur en usine et peintre à ses heures perdues, décide un beau matin de laisser derrière lui famille et usine pour s’en aller à l’aventure. Une rapide visite chez son père, qui extrait des liasses de billets de son coffre-fort pour les offrir à son fils, et voilà Vincent parti pour Venise. Pendant ce temps, la vie continue au village…

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POINT DE VUE

Qui n’a pas rêvé d’abandonner son travail, et les contraintes de son travail, pour partir à l’aventure du monde ? Ce très bel argument narratif, tout important qu’il soit dans l’économie générale de Lundi Matin, est insuffisant à résumer le film, qui conte autant d’histoires qu’il compte de personnages. La vision de Iosseliani est une des plus larges et des plus profondes du cinéma contemporain : le cinéaste filme le monde (la campagne et la ville, la ferme et l’usine, la France et l’Italie,…) et l’humanité (hommes et femmes ; parents, enfants et aïeux ; prolétaires, aristocrates et prêtres ;…) d’un point de vue supérieur. Sa mise en scène affectionne ainsi les plans larges et la profondeur de champ. Démiurgique en apparence, cette vision n’est en réalité d’aucun dieu mais bien plutôt de celui qui n’a peur d’aucun dieu. Cette qualité épicurienne, ce détachement suprême, est dénué d’ostentation, d’orgueil ou de mépris : Iosseliani au contraire le partage avec ses personnages. Quoi qu’il advienne, la vie continue. L’argent, par exemple, lorsqu’il vient à manquer, apparaît miraculeusement (les liasses de toutes les devises du monde enfermées dans un coffre-fort par le père de Vincent, ou le trésor de vieilles pièces enterrées par sa mère dans un potager) et se révèle tout à fait inutile (Vincent se fait voler son portefeuille aussitôt arrivé à Venise, et il rentre à temps dans sa famille pour empêcher que celle-ci, par manque de ressources en son absence, ne mette le trésor à profit).

  Lundi Matin (c) D.R.

L’insouciance légère des personnages, leur désintéressement envers les valeurs convenues, atteste que le point de vue de Iosseliani sur notre petit monde est aussi attentif que familier et généreux. Alors que le même voleur qui l’avait déjà dépouillé tente à nouveau sur lui sa chance, Vincent se retourne vers le détrousseur, lui montre en souriant ses poches vides et, camaraderie des marginaux, les deux compères se quittent sur une poignée de main.

Le regard de Iosseliani ne prête pas pour autant à une accusation d’angélisme, et le cinéaste ne s’aveugle pas sur les petites misères quotidiennes du monde : le voisin de Vincent au village, sorte de double aux valeurs inverses de notre " héros ", en témoigne à chaque apparition. Une caravane de gitans vient-elle à passer dans les rues que le bonhomme s’enferme à double tour dans sa propriété, se cache derrière un volet et, un fusil à la main, guette les " voleurs de poules ". Le même joyeux homme, alors que ses enfants ont prêté l’un de leurs nombreux vélos au fils de Vincent, se paie d’une leçon de morale (" vous savez combien ça coûte ", etc.) et, au volant d’un tracteur, s’en va récupérer la bicyclette.



LA COMEDIE HUMAINE

C’est la comédie humaine que filme Iosseliani, avec une grâce jubilatoire. Plus que les actions particulières des uns et des autres, plus que les motivations singulières des uns et des autres, c’est le mouvement commun à tous qui le captive. Sous le regard du cinéaste, le monde apparaît comme un incessant ballet dont Lundi Matin donne à voir, dans le détail des gestes et des actions, le mouvement d’ensemble – mouvement qu’on dirait celui de la vie même.