Au village, enfants,
adultes et vieillards se déplacent constamment :
en vélo ou en deltaplane ; en voiture, en train,
en bus ou en tracteur; et même, en chaise roulante.
A Venise, royaume des canaux et des lagunes, tous les moyens
de locomotion fluviale et maritime sont à l’œuvre :
canots, gondoles et bateaux. A Venise surtout, où Vincent
est en villégiature et bien loin de la vie active,
le mouvement du monde apparaît dans toute sa splendeur :
avec un ami de passage, Vincent grimpe sur un toit vénitien,
s’installe à son aise, ouvre une bouteille de vin et
contemple le sublime panorama qui s’offre à ses yeux.
La caméra panote alors lentement et, de ce point de
vue en hauteur, dévoile aux yeux du spectateur, après
les toits de la ville, un plan d’ensemble sur la lagune vénitienne
ou des dizaines de bateaux de toutes tailles se frôlent
et se croisent.
Cette fluidité
essentielle du monde, Iosseliani la mime par la construction
narrative de son film. Absolument indifférent aux règles
élémentaires de la mise en histoire, le film
semble à chaque instant progresser à l’aventure,
abandonnant un personnage pour un autre au gré des
apparitions dans le champ et retrouvant tel ou tel personnage
au hasard des rencontres. Le postier du village, descendant
un sentier sur son vélo, s’arrête soudain au
milieu du chemin pour pousser sur le bas-côté
une grosse pierre qui obstrue le passage. Le postier reprend
son vélo et quitte alors le champ de la caméra
pour laisser sa place à un vieillard grassouillet qui
profite de la pierre pour s’asseoir et se reposer. Et ainsi
de suite…
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Plongés dans
ce mouvement perpétuel, les personnages et leurs prétentions,
la société et son système de valeurs
perdent tout leur sérieux. Avec un humour visuel tout
droit inspiré de Tati (les épisodes au village
évoquent indéfectiblement Jour de Fête),
Iosseliani moque le monde du travail, sa hiérarchie
et ses interdits. Vincent et ses collègues, pendant
le trajet qui les conduit jusqu’à la grille de l’usine
(recouverte de panneaux d’interdictions), fument cigarette
sur cigarette ; mais, une fois les grilles franchies,
les superviseurs sont là qui ramassent et comptabilisent
les mégots, et veillent à ce que les fumeurs
s’abstiennent. Absurdité évidente aux yeux du
cinéaste et du spectateur, l’usine étant filmée
comme un espace saturé de fumée et d’étincelles !
La même absurdité
est dévoilée dans la comédie des apparences
que tout un chacun se joue à chaque instant. Sur la
recommandation de son père, Vincent rend visite à
un aristocrate vénitien, interprété par
Iosseliani lui-même. Celui-ci, avant de laisser rentrer
son hôte, prépare minutieusement toute une mise
en scène : il s’extrait de son lit, étend
un riche tapis sur le sol et ouvre grand les fenêtres ;
il se met alors au piano et fait semblant d’en jouer, tandis
que la musique s’échappe d’un magnétophone soigneusement
dissimulé, et que le morceau s’achève sur un
tonnerre d’applaudissements et de hourras pré-enregistrés
auquel le " prince " va faire semblant
de répondre sur son balcon. La folie du monde, aussi
inquiétante puisse-t-elle être, est aussi parfois
folie douce, comme dans le palais décrépit d’un
prince excentrique.
IN VINO VERITAS
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La mise en scène
de Iosseliani se fait un devoir et un plaisir de révéler
les coulisses du monde et de la société, d’en
désamorcer le sérieux et de rendre grâce
au mouvement essentiel de la vie, qui relativise tout. La
liberté elle-même, l’affranchissement aux devoirs
de ce monde, n’a qu’un temps : l’ami que Vincent rencontre
à Venise, après deux jours de villégiature
bienheureuse, s’en retourne travailler – dans un décor
strictement identique à celui de l’usine lyonnaise.
Vincent, lui aussi, finira par s’en retourner dans sa famille
et à son poste.
La liberté
n’a qu’un temps, et ce temps est d’abord celui de l’enfance :
les personnages d’enfants et d’adolescents, chez Iosseliani,
semblent bénis des dieux : Léonards en
herbe, inventifs, géniaux et passionnés. Mais,
l’enfance se perd et l’adulte n’a plus pour s’en consoler
que des moments volés, passés à s’abandonner
au temps qui passe, en compagnie d’amis de hasard et d’une
bouteille de vin.
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Titre : Lundi
Matin
Réalisateur :
Otar Iosseliani
Scénariste :
Otar Iosseliani
Directeur de la photographie :
William Lubtchansky
Chef décorateur :
Emmanuel de Chauvigny
Musique : Nicolas Zourabichvili
Producteur : Martine
Marignac, Maurice Tinchant, Roberto Cicutto
Production : Pierre
Grise Productions, Rhône-Alpes Cinéma,
Mikado (Italie)
Distribution :
Les Films du Losange, France
Sortie le : 20 février
2002
Pays : France
Année :
2002
Durée : 2h
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