LA QUESTION DE L'ORIGINE
Le célèbre film
de Coppola est ressorti dans une version fortement remaniée
et nettement plus longue : Apocalypse now redux, un
nouveau titre pour une œuvre majeure de l’histoire du cinéma.
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Yves Lavandier, dans son livre La
dramaturgie, taxe Apocalypse now de " film militariste
". L’accusation est sérieuse en ce qu’elle fait du
film de Coppola une simple œuvre épique, " un grand
show " à la gloire d’une entité abstraite (la
guerre) dont les personnages ne seraient finalement que des
faire-valoir.
L’histoire, tout le monde la connaît : un jeune gradé,
chargé d’abattre un colonel devenu fou, va traverser
avec ses hommes le Vietnam dévasté par la guerre.
Il croisera le destin d’un capitaine de cavalerie aéroporté
puis d’une famille de colons, avant de se retrouver en présence
de ce mystérieux personnage, désormais changé
en gourou régnant sur une armée d’ombres.
Si Apocalypse now redux, par bien des aspects, reste
un film spectaculaire, sa dimension épique cache une
réflexion politique qui sort du simple cadre historique,
pour s’attacher finalement au rapport des hommes avec la guerre
et, plus généralement, au rapport entre les
actes individuels et leur dimension collective. Renoir, dans
La règle du jeu, avait déjà soulevé
le lièvre : une scène fameuse montre le Marquis
Robert de la Chesnaye et ses amis au cours d’une partie de
chasse. L’ambiance est bon enfant et l’on badine au son des
fusils. Chaque personnage recueille la sympathie du public
et reste, au demeurant, réellement sympathique. Mais
que la caméra s’éloigne pour filmer l’ensemble
des participants, et la scène devient une figure de
la guerre, les volatiles symbolisant clairement les morts
du futur conflit.
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Ainsi, Apocalypse now redux
pourrait être un immense développement de cette
courte scène et l’on retrouve assez clairement cette
thématique dans la célèbre charge des
hélicoptères : aux commandes de ces engins,
les hommes ne sont que de simples rouages d’une machine
infernale et la guerre apparaît dans toute sa dimension.
Mais une fois au sol, ils changent de visage : un colonel
donne à boire à un blessé, un jeune
militaire fera du ski nautique derrière la vedette
rapide qui emmène le commando vers l’antre du Colonel
Kurtz. La scène de la colonie française procède
de la même figure. Chacun défend sa légitimité
à être là : " ce monde est nôtre,
disent-ils en substance, nous l’avons fait ". Au milieu
de cette famille raisonnable, il devient difficile de songer
au conflit et à ses morts. Mais derrières
ces hommes attablés, c’est le système politique
des colonies, avec ses responsabilités dans la guerre
du Vietnam, qui se profile. Là encore, l’angle de
vue change les hommes.
Coppola, s’il s’était contenté, comme tant
d’autre, d’une narration basée sur l’aventure ou
le suspens et d’un hymne à la gloire de ses héros,
aurait parfaitement pu réaliser un film de guerre,
" un grand show " pour reprendre l’expression d’Yves Lavandier.
Mais le déroulement particulier du temps cinématographique,
couplé aux interrogations de Willard (qu’on entend
en voix of tout au long du film), se charge de transformer
cette chevauchée en une sorte d’errance qui conduit
le jeune capitaine à affronter son double (le mystérieux
Colonel Kurtz), un être monstrueux qui semble incarner
la guerre elle-même.