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Martha... Martha (c) D.R. MARTHA... MARTHA
de Sandrine Veysset
Par Matthias HEIZMANN


SYNOPSIS : De marché en marché, de coin de pêche en partie de monopoly, Martha, Reymond et leur fillette Lise vivent et s'aiment à contre courant... Le bonheur semble à portée de main. Mais les fantômes de l'enfance guettent, et Martha, traquée, entraîne son petit monde au fil d'une dérive sans fin… Sans fin ??

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À l'évidence, Martha… Martha n'est pas un film à succès. Après quelques semaines d'exploitation, il s'est retiré discrètement de l'affiche, suivant d'une certaine manière le chemin de son personnage : l'errance et l'oubli.

  Martha... Martha (c) D.R.
L'histoire importe peu. Tout juste celle d'une femme ordinaire, héritière d'un roman familial un peu plus compliqué que la moyenne et victime de ces éducations qui conduisent les plus fragiles droits au gouffre. Des parents qui ne parlent pas, un sentiment d'exclusion collé au corps comme ces maillots de bains trempés qui vous gèlent jusqu'aux os, il y a là de quoi préparer les plus grandes tragédies. Toujours est-il que Martha, en Fritz Zorn des quartiers populaires, subit la violence quotidienne des âmes perdues : dès les premières images, il est clair qu'elle souffre d'une dépression chronique qui l'accompagne depuis l'enfance.

Martha a une fille. Et puis un compagnon, qu'elle suit de place en place, les jours de marché, pour vendre des fripes, ces bouts de chiffons délaissés qu'on recycle comme on peut pour leur donner forme humaine. Martha a aussi une sœur, et puis un frère mystérieux : le mort de la famille, celui auquel on s'identifie les soirs de faillites, quand le sol devient un peu trop mouvant et qu'on se sent basculer. Tout cela nourrit les rêves les plus fous, comme celui d'une famille recomposée en Italie autours d'une piscine, le temps d'un cours séjours qui devait ressembler à des vacances.
Mais dans le film de Sandrine Veysset, les rêves tournent vite au cauchemar. Ainsi, les retrouvailles entre sœurs précipitent l'éclatement de la cellule familiale et menacent la fragile personnalité de Martha. C'est ce glissement qui est mis en scène avec une force peu commune, faisant de Martha…Martha l'un des films les plus marquants des deux dernières années.

Martha... Martha (c) D.R.

Si Sandrine Veysset s'était piquée d'un quelconque discours psychanalytique, elle aurait peut-être rendu plus crédible le " cas " de son personnage. Mais elle aurait considérablement amoindri la force de son film qui, précisément, fonctionne à l'opposé d'une thèse. Car Martha… Martha est avant tout une œuvre poétique qui déploie un formidable réseau de symboles et s'attache aux relations entre les personnages pour mieux évoquer la dérive d'une femme que rien ne pourra véritablement enrayer.
Ainsi, les efforts de son compagnon auront peu d'effet : Raymond est bien trop proche de Martha pour comprendre ce qui se joue et, en parfait miroir, il incarne, à sa manière, le vide qu'elle-même tente de masquer par la parole, fût-ce en la galvaudant. Car si Martha parle la plupart du temps pour blaguer, Reymond se tait le plus souvent.

Entre eux il y a Lise, leur fillette. Hantée par des cauchemars où il est question d'ours en peluches massacrés par un être gigantesque et squelettique : au fil de l'eau, il arrache à l'élément liquide ces objets d'attachement pour les jeter dans sa besace. C'est dans cette remarquable séquence que Sandrine Veysset va poser les derniers éléments du drame : jusque-là, on ne pouvait imaginer la noirceur du monde de Martha qu'à travers son regard vide, ses blagues et son comportement morbides. Voilà que désormais il prend corps, comme si le cauchemar de Lise renvoyait à celui de sa mère, promise elle aussi à la noyade.