SYNOPSIS:
De marché en marché, de coin de pêche
en partie de monopoly, Martha, Reymond et leur fillette Lise
vivent et s'aiment à contre courant... Le bonheur semble
à portée de main. Mais les fantômes de
l'enfance guettent, et Martha, traquée, entraîne
son petit monde au fil d'une dérive sans fin
Sans fin ??
À l'évidence, Martha
Martha n'est pas un film à succès. Après
quelques semaines d'exploitation, il s'est retiré discrètement
de l'affiche, suivant d'une certaine manière le chemin
de son personnage : l'errance et l'oubli.
L'histoire importe peu. Tout juste
celle d'une femme ordinaire, héritière d'un
roman familial un peu plus compliqué que la moyenne
et victime de ces éducations qui conduisent les plus
fragiles droits au gouffre. Des parents qui ne parlent pas,
un sentiment d'exclusion collé au corps comme ces maillots
de bains trempés qui vous gèlent jusqu'aux os,
il y a là de quoi préparer les plus grandes
tragédies. Toujours est-il que Martha, en Fritz
Zorn des quartiers populaires, subit la violence quotidienne
des âmes perdues : dès les premières images,
il est clair qu'elle souffre d'une dépression chronique
qui l'accompagne depuis l'enfance.
Martha a une fille. Et puis un compagnon,
qu'elle suit de place en place, les jours de marché,
pour vendre des fripes, ces bouts de chiffons délaissés
qu'on recycle comme on peut pour leur donner forme humaine.
Martha a aussi une sur, et puis un frère mystérieux
: le mort de la famille, celui auquel on s'identifie les soirs
de faillites, quand le sol devient un peu trop mouvant et
qu'on se sent basculer. Tout cela nourrit les rêves
les plus fous, comme celui d'une famille recomposée
en Italie autours d'une piscine, le temps d'un cours séjours
qui devait ressembler à des vacances.
Mais dans le film de Sandrine Veysset, les rêves tournent
vite au cauchemar. Ainsi, les retrouvailles entre surs
précipitent l'éclatement de la cellule familiale
et menacent la fragile personnalité de Martha. C'est
ce glissement qui est mis en scène avec une force peu
commune, faisant de Martha Martha l'un des films
les plus marquants des deux dernières années.
Si Sandrine Veysset s'était piquée
d'un quelconque discours psychanalytique, elle aurait peut-être
rendu plus crédible le " cas " de son personnage.
Mais elle aurait considérablement amoindri la force
de son film qui, précisément, fonctionne à
l'opposé d'une thèse. Car Martha
Martha est avant tout une uvre poétique
qui déploie un formidable réseau de symboles
et s'attache aux relations entre les personnages pour mieux
évoquer la dérive d'une femme que rien ne
pourra véritablement enrayer.
Ainsi, les efforts de son compagnon auront peu d'effet :
Raymond est bien trop proche de Martha pour comprendre ce
qui se joue et, en parfait miroir, il incarne, à
sa manière, le vide qu'elle-même tente de masquer
par la parole, fût-ce en la galvaudant. Car si Martha
parle la plupart du temps pour blaguer, Reymond se tait
le plus souvent.
Entre eux il y a Lise, leur fillette.
Hantée par des cauchemars où il est question
d'ours en peluches massacrés par un être gigantesque
et squelettique : au fil de l'eau, il arrache à l'élément
liquide ces objets d'attachement pour les jeter dans sa
besace. C'est dans cette remarquable séquence que
Sandrine Veysset va poser les derniers éléments
du drame : jusque-là, on ne pouvait imaginer la noirceur
du monde de Martha qu'à travers son regard vide,
ses blagues et son comportement morbides. Voilà que
désormais il prend corps, comme si le cauchemar de
Lise renvoyait à celui de sa mère, promise
elle aussi à la noyade.