C'est d'abord à ce jeu de miroirs
que Martha
Martha doit une bonne part de sa
force, sans doute parce qu'il multiplie à l'infini
les possibilités d'identification. Ainsi, il est
difficile de ne pas se retrouver dans la posture impuissante
de Raymond abandonné à sa propre douleur,
ou d'échapper au piège des signifiants - l'eau,
les fripes ou les ours pêchés comme des poissons
- qui parsèment le film.
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Tout cela suffirait déjà
à faire de Martha
Martha un film remarquable.
Mais Sandrine Veysset ne se contente pas de filmer une dépression
dans ces manifestations cliniques et de mettre en scène
ses conséquences. Bien plus, elle matérialise
l'une des plus vieilles craintes de l'homme : celle de voir
la question de l'identité - à laquelle on
a longtemps tenté de répondre en ressassant
des je penses donc je suis - balayée par un
tonitruant " je " est celui qui dit "
je ", et de se retrouver seul face au gouffre.
Ce n'est sans doute pas par hasard si, dans le film de Sandrine
Veysset, c'est un viol qui précipite la catastrophe.
Comme si, finalement, le déchirement de l'intimité
dévoilait chez Martha cette béance constitutive,
et qu'aucune barrière ne subsistait désormais
pour prévenir sa chute
Cest au cur dun moulin à aube,
reconverti en habitation de fortune, que va se jouer le
dernier acte : face à la vitre embuée, Martha
assiste littéralement à sa propre noyade.
On ne saura pas si cette mort est réelle ou fantasmée,
ni si limage de cette femme, disparaissant dans leau
froide de la rivière, appartient au domaine du rêve
ou à la réalité. En revanche, on comprend
que rien désormais ne peut plus la sauver. Seul importe
alors ce " besoin de consolation " qu¹on
recherche aux soirs de vague à lâme,
et qui a été choisi par Sandrine Veysset en
guise de dédicace.
Je ne sais pas jusquà quel point cette petite
phrase éclaire Martha... Martha. Mais elle
contribue sans doute à laisser le spectateur comme
sonné par ce quon lui a donné à
voir. Car le film de Sandrine Veysset ne se contente pas
dêtre une formidable leçon de direction
dacteur, ni de faire dun récit minimaliste
un modèle de tragédie moderne. En donnant
aux personnages cette formidable proximité et à
leur histoire une dimension universelle, il fait naître
chez le spectateur quelque chose qui ressemble à
de l¹étouffement mêlé de tristesse.
Et ce genre de sentiment, aujourdhui, se fait de plus
en plus rare.
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Titre Martha
Martha
Réalisatrice
: Sandrine Veysset
Scénario
: Sébastien Régnier et Sandrine
Veysset
Interprètes :
Valérie Donzelli, Yann Goyen, Lucie Régnier
Photo
: Hélène Louvart
Montage
: Nelly Quettier
Production
: Ognon Pictures
Son
: François Morel
Durée
: 97 mn
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