De la plus régressive,
comme celle de ces militaires persuadés que Saddam
Hussein vient d’envahir la France (le film se déroule
en pleine guerre du Golfe), à la plus libre, comme
celle des personnages féminins qui cèdent, au
détour d’un sentier aphrodisiaque, au charme brut d’un
berger, ravi de l’aubaine avant d’en être dépité
par fatigue. Sans oublier cette grève spontanée
qui saisit l’équipe de tournage d’un western (n’avais-je
pas évoqué les Etats-Unis en ouverture de cet
article), parce que le déjeuner n’a pas pu arriver.
Car, semble dire le réalisateur, l’homme au contact
forcé avec la nature, n’a que deux échappatoires
possibles : soit s’accrocher à des vestiges de
civilisation, soit se concentrer sur ses besoins vitaux. Boire,
manger, dormir, mais aussi se baigner nu dans l’eau fraîche
dun petit lac, comme le redécouvre avec délice
Anne (et, lespace de deux plans, le spectateur auquel
est offerte la contemplation dune magnifique Naïade).
Quant à l’amour,
enjeu véritable de la relation entre Paul et Anne (mais
aussi entre deux astrophysiciens isolés dans leur observatoire
du Chiran), il ne sera possible de le trouver qu’au terme
d’un rite quasi païen : la destruction par le feu
de l’automobile. Ultime séquence du film et véritable
sacrifice tribal, où les percussions de la bande son
répondent au martèlement des pieds de la copilote
sur le toit de la voiture, ce rite permettra, on le devine,
à Paul et Anne de retourner à la civilisation,
débarrassés des barrières mentales qui
les contraignaient au début de leur rencontre.
Luc Moullet est donc un
explorateur. Un explorateur avisé d’une région,
le bloc de Majastres, qu’il filme à la manière
d’un John Ford filmant Monument Valley : la référence
initiale aux mythes américains se justifie ici pleinement
et, pour abonder encore dans ce sens, il suffira de superposer
aux images des troupeaux de moutons des plateaux français
celles des troupeaux de bisons des plaines américaines.
Mais aussi, et peut-être avant tout, un explorateur
distancié et pince-sans-rire de l’âme humaine,
parfaitement relayé par une bande d’acteurs dirigés
avec discernement, en tête desquels on retiendra un
Jean-Christophe Bouvet, jubilatoirement exubérant en
militaire abruti et une Iliana Lolic, délicieusement
charmante en midinette tourmentée.
Ainsi, pour notre plaisir
retrouvé, l’homme tranquille du cinéma
français est de retour sur nos écrans.
Titre :
Les Naufragés de la D 17 Réalisateur
: Luc Moullet Scénario
: Luc Moullet Image
: Pierre Stoeber Interprètes
: Patrick Bouchitey, Iliana Lolic, Sabine Haudepin,
Mathieu Amalric, Jean-Christophe Bouvet, Gérard
Dubouche. Son
: Jean-Daniel Becache Montage
: Isabelle Patissou-Maintigneux Mixage
: Cédric Lionnet Musique
: Patrice Moullet Producteur :
Paulo Branco Production
: Gemini films & La vie est belle films associés Distribution
: Gemini Films Sortie France :
29 mai 2002 Année
: 2002 Pays
: France Durée
: 1h 21