Sous le prétexte
d’une transaction, on veut assassiner le Prince. Chez un marchand
de vin, la séance de dégustation devient une
danse de mort compliquée et grotesque, à la
chorégraphie aérienne. Le spectateur est perplexe
face à ces mouvements, ces regards aussi policés
que féroces. Cérémonial ou lutte à mort ?
Est-ce ainsi qu’on sert le vin aux majestés, ou l’anse
de la coupe va t-elle transpercer son cœur, sa gorge ?
Le Prince sait-il, joue t-il avec ses meurtriers, ou alors
esquive t-il selon un rituel, subit-il une épreuve
initiatique ou une épreuve de force ? La scène
est-elle comique ? Liu-Chia Liang laisse le spectateur
dans le doute. La séquence se déroule dans l’ambiguïté
dont sont faits les rêves. Mais le Prince survit et
tue ses assaillants : c’est ainsi, du moins, qu’on finit
par le comprendre. Les adversaires cependant ne renoncent
pas : une seconde tentative d’assassinat est organisée,
une nouvelle transaction doit servir de prétexte. Le
Prince se rend chez l’antiquaire et cette fois-ci, le spectateur
sait à quoi s’attendre. Mais le réalisateur
inclut alors Dirty Ho, exclu, lui, de la première tentative
de meurtre et qui, lui, ne sait rien. Entrevoyant un manège
similaire à celui du marchand de vin, le personnage
va s'interroger comme le spectateur dans la séquence
précédente : transaction policée ou tentative
d’attentat ? Ces questions, ces doutes, l’empêchent
d’intervenir, il ne sait pas à quoi s’en tenir. Tout
à coup, avec une acuité rare, nous éprouvons
véritablement le sentiment du danger : face aux
tergiversations de Dirty Ho, qui sont les mêmes que
les nôtres auparavant, nous saisissons d’autant mieux
la solitude du Prince face au complot si bien déguisé
qui l’entoure.
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La richesse et la finesse
de la mise en scène sont toutes aussi étonnantes
dans cette séquence ludique où nous assistons
d’abord à la projection de ce qui pourrait se passer
(des malfrats annoncent à Dirty Ho comment ils comptent
se défendre contre ses attaques et le réduire
à l’impuissance), puis de ce qui se passe vraiment.
On a davantage l’impression de deux réalités
qui se chevauchent que d’une fiction annulée par la
réalité.
Le combat final mérite
un chapitre à part. Son économie de plans, de
trucs et d’effets pour atteindre une efficacité
maximale, en font un modèle du genre. C’est aussi une
merveille de précision dans les mouvements : la
manière dont Lo Lieh et ses acolytes se passent et
se repassent la lance, celle dont Dirty Ho et le Prince manient,
ensemble ou séparés, le bâton, est absolument
magique. Liu-Chia Liang veille à ce qu’il n’y ait pas
d’immobilité dans l’espace : même en dehors
de la mêlée, les personnages ne cessent de virevolter,
prêts à tout moment à se substituer aux
autres. Très long mais guère ennuyeux, le combat
est, là aussi, parfaitement rythmé, parfaitement
découpé, parfaitement chorégraphié,
parfaitement interprété. Pourtant, il détonne
dans l’ensemble du film par son caractère austère,
sévère, dur. Les autres combats sont baroques,
flamboyants, hauts en couleurs : de la commedia dell’arte.
Celui-ci n’est plus que définitif – conclusion logique
et transcendante d’un chef-d’œuvre.
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Titre : Dirty Ho
Titre anglais : Rotten
Head Ho
Réalisateur :
Liu Chia Liang
Chorégraphe :
Liu Chia Liang
Acteurs : Wong
Yu, Gordon Liu, Lo Lieh, Hsiao Ho, Kara Hui Ying-Hung,
Chan Si Gaai, Yau Chui Ling, Cheng Miu, Yeung
Chi Hing, Jamie Luk, Johnny Wang, Wilson Tong,
Ging Chue, Wai Wang, Keung Hon, Shum Lo, Poon
Bing Seung.
Producteurs : Mona Fong,
Sir Run Run Shaw
Distributeur USA : Ground
Zero Entertainment
Durée :
99 min
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