Alors que le scénario
d’Alien effleurait du bout de la plume le thème
du sida, le film de Guillermo del Toro s’y plonge à
corps perdus, faisant même passer au second plan les
scènes de castagne collective que l’on était
en droit d’attendre d’un tel film et d’un tel casting :
Wesley Snipes n’a pas tout à fait la réputation
de jouer dans des films d’art et d’essai.
Dans Blade 2, la
métaphore du sida est remarquablement développée.
Le virus HIV est symbolisé par les vampires. Ces disciples
du Prince des Carpates sévissent dans les pays de l’Est,
à Prague en l’occurrence, un peu comme le sida qui
fait des ravages dans les sociétés post-communistes
à la dérive.
A l’intérieur de
leurs zones de prédilection, sida et vampires ont les
mêmes terrains de chasse. Ils visent des endroits bien
précis comme les centres de transfusion sanguine, les
boîtes de nuit ou les quartiers pauvres gangrenés
par la drogue.
Entre les vampires et le
sida, le territoire infectieux est donc identique, mais les
ressemblances ne sont pas que géographiques. Dans les
deux cas, la prévention est vitale. Avec le sida, sans
préservatif, la contamination est proche. Avec les
vampires, c’est un peu le même principe, sauf que le
latex est cette fois inefficace. Pour contenir ces parasites-là,
l’attirail est plus diversifié, allant du traditionnel
crucifix aux cartouches remplies d’iodure d’argent propulsées
par de grands fusils ou de gros pistolets.
Malgré ces précautions
prises, une fois touché, il ne reste que le traitement
médical. Blade a été mordu dans sa jeunesse
par un vampire, il est donc infecté par le virus, mais
son mentor ( Kris Kristofferson toujours aussi barbu et énigmatique
) a concocté spécialement pour lui un antidote
qui annihile les effets du germe vampirique pendant quelques
heures. Blade s’injecte donc régulièrement son
sérum, sa trithérapie à usage privé.
Blade est donc un peu le
vaccin personnalisé, le super globule blanc capable
d’éradiquer la maladie. Et il s’acquitte de sa tâche
avec un zèle remarquable. Les premières scènes
du film inquiètent même assez à cause
de leur violence et d’une esthétique de jeu vidéo
filmé très agaçante.
Les suceurs de sang ont
bien compris la menace que faisait peser Blade sur leurs têtes
et se dissimulent du mieux qu’ils peuvent du mortel arsenal
du vengeur noir. Tout comme le sida qui une fois attaqué
par la trithérapie disparaît des analyses de
sang, attendant la moindre occasion pour refaire son apparition
et semer la mort.
La grande force du film
de Guillermo del Toro se situe donc dans la complexité
du scénario. Les références s’enchaînent,
sans forcément dessiner une représentation binaire
de la maladie. Les vampires sont les porteurs de la maladie,
mais ce sont aussi ses développeurs. Le repaire des
vampires ressemble au siège d’une grande entreprise
pharmaceutique ou même à l’un de ces gigantesques
centres hospitaliers qu’on trouve à la périphérie
des grandes cités modernes.
L’arrivée en hélicoptère
des héros renforce encore cette impression de pénétrer
dans un lieu médicalisé.
La présence aux côtés
du souverain vampire d’un membre d’une commission Onu Santé
montre combien les démons de la nuit gèrent
leur maladie comme un business. Plus tard, l’image de fioles
orangées remplies de fœtus de faucheurs ressemble étrangement
à un ensemble de poches de sang.
Le Dracula du film de Del
Toro est donc une sorte de docteur Garetta local, un peu plus
chauve et moins moustachu que son modèle français,
mais l’appétit de pouvoir et la soif d’argent les pousse
tous deux à sacrifier des pions humains sur l’échiquier
de leur réussite.
|