UNE AUTRE INFORMATION EST POSSIBLE
Davos, Porto Alegre : deux noms
célèbres qui ont fait la une des journaux, aux
rubriques actualités internationales ou économie,
et qui ont alimenté des discussions politiques passionnées.
Les deux forums abordent clairement, chacun selon sa logique,
la fameuse mondialisation et l’on a confusément le
sentiment que c’est le destin de l’humanité, notre
destin, qui s’y joue. L’enjeu n’est donc pas mince. Vincent
Glenn, sans autre titre que celui de citoyen cinéaste
(accompagné de Christopher Ygddre) a eu l’idée
toute simple d’aller voir sur place, en l’occurrence au premier
forum social de Porto Alegre en 2001, pour satisfaire une
soif légitime de s’informer (le mot est important),
de savoir, de comprendre. Et aussi d’envoyer deux équipes
dans l’une et l’autre ville pour filmer les deux forums. Il
s’agit presque de relever cinématographiquement le
défi de cette simultanéité puisque les
organisateurs de Porto Alegre ont symboliquement décidé
que leur forum reprendrait exactement les mêmes dates
que celui de Davos, comme pour rappeler que l’économie
ne va pas sans son versant complémentaire : le
social.
Ainsi, en termes de cinéma, ce documentaire a comme
l’ambition de mettre en place un vaste champ contre-champ
mais c’est bien plutôt la structure du montage parallèle
qui imprime sa marque, donnant l’idée de deux droites
parallèles destinées à ne jamais se rencontrer.
On comprend alors que le film, dans son dispositif rhétorique,
fonctionne en grande partie sur la figure du contraste. Le
soleil de Porto Alegre contre la neige de Davos, la chaleur
contre le froid, la lumière contre la blancheur, la
chaleur humaine contre la froideur des rapports etc.
La différence est presque trop
belle, trop parfaite, un poil manichéenne. Mais les
organisateurs de Porto Alegre ont bien sûr songé
à la symbolique dans le choix des dates et du lieu ;
d’autre part force est de reconnaître que certains
organisateurs et intervenants de Davos font tout pour entretenir
une réputation de glacialité comme pour donner
un équivalent humain à l’expression les rigueurs
de l’hiver. En effet, alors que l’équipe de Porto
Alegre a libre accès et peut pénétrer
partout à sa guise, interviewer qui bon lui semble
et trouver à chaque fois un interlocuteur disponible
(y compris Lula, le futur président du Brésil),
l’équipe de Davos, à qui on a refusé
l’entrée, est réduite à filmer des
médiations, en l’occurrence des écrans de
télévision où l’on voit des intervenants
du forum exprimer une volonté de dialogue et d’inclusion.
Bref, le film atteste d’une impossibilité de la rencontre,
du dialogue ; il filme une absence, un vide et, de
ce point de vue, est empreint d’un caractère déceptif.
On n’a rien vu à Davos. Les Maîtres du monde
restent entre eux et demeurent inaccessibles au commun des
mortels tels des dieux de l’Olympe. Quel contraste avec
Porto Alegre où la parole circule entre des citoyens
libres et égaux ; une parole démocratique,
fraternelle, bouillonnante. Pour filer la symbolique, une
parole qui aurait brisé la glace, dégelé
les cœurs.