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En surface, Les Invasions barbares est
un film sur la paternité et les conflits qui opposent un père
et son fils. Ici, le père et le fils ne fonctionnent pas selon
les mêmes rythmes de vie et n’entretiennent pas de relations
intimes. Même s’ils s’aiment profondément, ils n’osent pas
se le dire, sans doute parce qu’une pudeur réciproque les
en empêche. Aux antipodes du pessimisme d’une Anne Fontaine
qui, dans son Comment j’ai tué mon père, peignait des
relations père-fils âpres et carnassières, Denys Arcand traite
du même thème avec une issue pleine d’espoir, introduisant
des notions fortes telles que la culpabilité et le pardon.
Tout sépare le père et le fils : ils n’ont pas la même façon
de voir les choses, un peu comme si le dernier n’avait pas
eu envie de suivre l’exemple de l’autre («Mon fils est
un capitaliste, ambitieux et puritain, moi qui, toute ma vie
ait été un socialiste… voluptueux»). On peut trouver le
personnage du fils assez caricatural dans sa description.
L’argent (il pense qu’on peut tout acheter avec l’argent)
et le téléphone portable (à chaque fois qu’il est sur le point
de vivre quelque chose d’intense, son téléphone se met à sonner)
sont les principales préoccupations de ce dernier, obnubilé
par le matérialisme. Mais ces deux façons distinctes de voir
la vie symbolisent en filigrane un fossé des générations.
Au-delà de la relation père-fils, cette confrontation presque
banale sert à accentuer le vrai sujet du film : un témoignage
sur toute une génération d’hommes et de femmes qui croyait
en l’utopie socialiste mais qui a vu progressivement ses idéaux
fragilisés par des invasions barbares (l’écrasement des deux
tours du World Trade Center, mis en parallèle, en est la conséquence
la plus représentative). Face à eux, des enfants qu’ils ne
reconnaissent plus, qui ont tout ce qu’ils veulent grâce à
l’argent mais n’ont plus de rêves, plus de désirs. Ils sont
presque déshumanisés, et il faudra qu’un malheur leur offre
une opportunité de s’ouvrir au monde et par extension à l’être
humain.
Ainsi, il y a un rapprochement entre Rémy et Nathalie, le
personnage le plus discrètement majeur du film. Ce joli duo
- silencieux - montre deux êtres qui cherchent à fuir la réalité
par les substances illicites. Le père parce qu’il est malade
et voit un monde de plus en plus régi par le capitalisme qu’il
abhorre ; la fille parce qu’elle entretient des rapports exécrables
avec sa mère. Au contact de Rémy, Nathalie, personnage de
junkie quasi-suicidaire, retrouve le goût à la vie
et en apprend le sens. Encore jeune, elle a du temps devant
elle pour découvrir, s’instruire. La bibliothèque dont elle
finit par hériter est le symbole d’une culture amassée par
Rémy afin qu’il la transmettre aux générations suivantes,
pour qu’ils n’oublient pas, par exemple, l’atrocité dont l’être
humain peut parfois être capable (il y a deux références à
Si c’est un homme de Primo Levi).
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Les Invasions Barbares, film humaniste,
dresse le bilan d’une vie entière et en dit long sur les contingences
qui la bouleversent. A priori, on pourrait penser que par
son sujet, ses références, il va être plus apprécié par un
public adulte ayant un vécu et possédant ainsi beaucoup de
points communs avec le protagoniste. On peut même s’imaginer
qu’il risque d’y avoir une identification avec le personnage
principal dans sa quête de rédemption. Comme si le spectateur
lui-même pouvait, à travers Rémy, effectuer une catharsis
libératrice : oublier les erreurs du passé et faire la paix
avec soi avant de quitter le monde. En réalité, le film s’adresse
à tout le monde et, de fait, étonne par sa puissante portée
universelle. Pour les anciennes générations, ce film-là sera
grand pour ses thèmes comme la transmission, le devoir de
mémoire, les réminiscences ou la famille. Pour les plus jeunes,
ce sera un formidable hymne à la vie qui fait prendre conscience
des vicissitudes qui traversent chaque être humain et des
ambiguïtés subtiles qui le constituent. Dans les deux cas,
cette belle oeuvre bouleversera tout le monde.
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Titre :
Les Invasions barbares
Réalisateur :
Denys Arcand
Scénariste :
Denys Arcand
Acteurs : Rémy Girard
, Stéphane Rousseau , Dorothée Berryman , Marina
Hands
Production : Cinémaginaire
Inc.
Distribution : Bodega
Films
Photo : Guy Dufaux
Musique : Pierre Aviat
Lumière : Hideaki
Yamakawa
Distribution : Pyramide
Sortie le : 24 septembre
2003
Durée : 1h 39 mn
Année : 2003
Pays : Canada
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