Parsemé de références aux contes,
le récit oscillant entre deux mondes distincts accommode
à sa sauce la trame de la belle et de la bête dans le contexte
clinique d’un hôpital. Par l’utilisation d’artifices formels
pertinents, Gilles Marchand parvient à instaurer une atmosphère
trouble et envoûtante dans laquelle évoluent et se perdent
des personnages dignes des archétypes des contes de fée.
Le plus représentatif de ceux-là est peut-être Véronique
(Catherine Jacob) qui constitue l’adulte que Bambi n’est
pas encore et qui lui prépare sa robe pour le bal où le
prince n’est pas nécessairement aussi charmant qu’on ne
le pense. C’est peut-être ce personnage de cousine envahissante
qui symbolise le mieux la transition tacite de l’intrigue
: on passe du rationnel à l’irrationnel, de la réalité au
rêve en permanence. Les personnages ne s’en rendent pas
nécessairement compte et nient en bloc cette ambiguïté fluctuante
comme dans cette scène où la même Véronique pense qu’Isabelle
se fait trop de fantasmes et n’imagine pas une seconde que
le docteur puisse être un schizophrène redoutable. Au moment
où elle réalisera que Isabelle avait raison, il sera peut-être
trop tard.
Yeux écarquillés, touchante de fausse naïveté, Sophie Quinton
s’illustre brillamment dans ce rôle d’infirmière maladroite
et irradie le long métrage de sa simple présence, mais rien
n’est jamais aussi intense que les instants où elle se retrouve,
déstabilisée, seule avec ses sombres désirs, face à un Laurent
Lucas très inquiétant. Son personnage binaire est un condensé
fascinant entre le docteur Jeckyll (et Mister Hyde) et le
Docteur Cordelier : le jour, il est apparemment accordé
avec le monde, rassurant, souriant ; alors que la nuit venue,
il est secrètement monstrueux et abuse sexuellement de ses
patientes anesthésiées. Par correspondances, on pourrait
arguer qu’Isabelle, qu’il surnomme « Bambi » pour l’humilier
et en faire une victime soumise, plus facilement attaquable,
est la Mary Reilly du docteur Philipp.
Le film tire toute sa force d’un
univers visuel très inspiré : il y a beaucoup de références
plus ou moins volontaires à Kubrick avec les longs travellings
et une omniprésence du rouge (reprise plus tard par Noé
dans Irréversible). Certes, ces afféteries dénotent
une envie de tout brasser dans un premier film au détriment
même de la cohérence, mais sur deux heures, l’ensemble se
tient avec élégance et parvient à proposer une intéressante
alternative entre le rêve et la réalité où les fantasmes
batifolent dangereusement dans les couloirs glacials de
cet hôpital malsain. Dépassant le cadre de la simple autopsie
d’une relation bourreau-victime exclusive où les sentiments
et les vérités convergent et se contredisent, le film est
avant tout une histoire d’amour impeccablement tordue où
deux personnages doivent procéder à un éloignement progressif,
voire radical et incongru, de leur entourage et de tout
ce qui est rassurant (le petit ami, la cousine) pour se
retrouver dans un no man’s land perdu onirique et
s’aimer, se manipuler, prendre du plaisir à se faire mal...
Conte morbide sur la passion et les ravages de l’imagination,
Qui a tué Bambi? est un exercice de style terriblement
incarné et extrêmement stimulant qui mérite toute votre
attention.
Titre : Qui a tué Bambi ? Réalisateur : Gilles
Marchand Scénario : Gilles Marchand,
Vincent Dietschy Acteurs : Sophie Quinton,
Laurent Lucas, Catherine Jacob, Yasmine Belmadi,
Michèle Moretti, Valérie Donzelli Musique : Doc Matéo,
Lily Margot, Alex Baupin, Carlos Dalton, François
Eudes Directeur de la photographie
: Pierre Milon Production : Haut et
Court Distribution : Haut
et Court Sortie le : 24 Décembre
2003 Durée : 2h 5mn Pays : France Année : 2003