« En coupant un fruit, je me fis
par hasard au doigt une entaille assez profonde. Le sang
partit aussitôt en filets pourpres, et quelques gouttes
rejaillirent sur Clarimonde. Ses yeux s'éclairèrent, sa
physionomie prit une expression de joie féroce et sauvage
que je ne lui avais jamais vue. Elle sauta à bas du lit
avec une agilité animale, une agilité de singe ou de chat,
et se précipita sur ma blessure qu'elle se mit à sucer avec
un air d'indicible volupté. »
Au lieu de purement et simplement mettre en boîte la chorégraphie,
comme le font toutes les émissions de télévision consacrées
de nos jours à la danse, le cinéaste Guy Maddin la retranscrit
en noir et blanc, ajoutant à cette imagerie rétro quelques
touches (couches au sens « Photoshop » du terme)
de carmin, comme le firent en leur temps les cinéastes du
noir et blanc Abel Gance ou Jean Cocteau. Il décline aussi
comme au temps du muet les virages monochromes des séquences
en fonction du récit, s’inspire du cinéma « expressionniste
» allemand des années vingt (cf. le Nosferatu de
Murnau de 1922) et des films hollywoodiens du début du parlant
(cf. le magistral Dracula avec Bela Lugosi, réalisé
par Tod Browning en 1931).
Le ballet, comme la musique, est
entièrement remonté, remodelé ; des inserts (visages des
danseurs), des surimpressions (images dédoublées, encadrées),
des ellipses (faux raccords assumés) enrichissent constamment
le déroulement de la danse. La part belle est laissée à
la pantomime, art qu’on pensait oublié et que pratique avec
talent la compagnie de danse canadienne. Les maquillages
accentuent également l’expressivité des visages. Quelques
intertitres placés au début du film présentent les personnages
et donnent la trame (l’argument) du ballet sans qu’ils éclairent
pour autant l’énigme posée par le roman fantastique tarabiscoté
et atypique.
Le traitement électronique des images, prises par le réalisateur
lui-même et son assistant (en super 8), et par l’équipe
de la télévision canadienne (en super16 mm) est basé sur
un minutieux travail de post-production en vidéo numérique
(80% des plans ont été recadrés ou retouchés à l’ordinateur,
si l’on en croit le cinéaste). La vidéo, gonflée en 35mm,
déçoit toujours un peu par son manque de définition sur
grand écran. Mais ici le film est conçu comme une miniature
d’art musulman (avec son obsession pour l’absence du vide)
et le spectateur y trouvera toujours quelque chose à glaner,
à voir (un détail, une trame, un élément décoratif) ou à
entendre...
Le Dracula de Guy Maddin
est accompagné dans les salles d’un étonnant court
métrage (20 mns) des frères Quay (Institut
Benjamenta) : In Absentia a comme
seul personnage une femme, seule, assise à un
bureau, écrivant obstinément une lettre avec des
morceaux de mine de plomb. La répétition de ses
gestes est transcendée par la musique austère
et éprouvante de Stockhausen. Ce film s’inscrit
à l’origine dans une série de quatre miniatures,
commanditées par la BBC : quatre collaborations
réalisateurs / musiciens (on y retrouve aussi
les associations Hal Hartley / Louis Andriessen,
Nicholas Roeg / Adrian Utley de Portishead, Werner
Herzog / John Tavener).
Titre : Dracula (Pages tirées du
journal d'une vierge) Réalisateur : Guy
Maddin Production : Dracula
Productions, Canada Acteurs : Zhang Wei-Qiang,
Tara Birtwhistle, David Moroni, Johnny Wright D'après l’œuvre de :
Mark Godden Compositeur : Gustav
Malher Costumier : Paul
Daigle Distribution :
E.D. Distribution Sortie France :
31 décembre 2003