UN CINEMA SPIRITUEL
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Le monde de Kay, en qui on retrouve
certains traits de Jane Campion, flirte avec l’onirisme
et la spiritualité : la cinéaste dépeint avec grâce un être
fragile, une femme paumée qui se rattache aux rituels magiques
de son enfance, et trouve en la figure de l’arbre l’objet
qui stigmatise sa douleur et ses difficultés à prendre racine
en ce monde. Dame nature n’a jamais bien fait les choses
pour la famille de Kay: entre un père qui se retrouve
abandonné et le grain de folie de la soeur, Kay ne fait
confiance au destin que dans la mesure où elle peut le contrôler
par la seule force de son inconscient. Pour sceller leur
couple naissant, mais pour lequel la sexualité et la libido
ne sont plus que de vains souvenirs, Kay et Louis plantent
un sureau au milieu de la cour bétonnée. Ses racines feront
se fendre le ciment, et l’arbre fera naître ses branches,
ses tiges et ses feuilles. L’angoisse est telle que la jeune
femme préfère l’arracher pour ne pas risquer de le voir
dépérir, et symboliser la mort de leur couple. La métaphore
filée du végétal, thème que Jane Campion utilise pour incarner
les évolutions mentales des personnages – tantôt la folie,
tantôt les ombres, le doute ou la force – fait de la nature
un élément imprévisible, capable du meilleur comme du pire.
Et puis le monde de Kay se craquelle. Il implose dans toute
sa laideur avec l’entrée de Dawn, alias Sweetie, femme mi-porc
mi-bébé, qui fait passer tous ses désirs pour des ordres.
La plus faible des sœurs a toujours bénéficié de l’aura
protectrice du père qui refoule sa différence et voit en
elle une artiste au talent méconnu. Le ridicule du personnage,
admirablement joué par Genevieve Lemon, atteint son paroxysme
lorsque, face à ses échecs à vivre normalement, à « y
arriver », la régression à l’état sauvage la pousse
à se retrancher dans son arbre cabane, nue, aux yeux de
tout le voisinage. La petite famille bourgeoise tâche d’étouffer
sa monstruosité, quand Kay souhaiterait exprimer dans un
cri libérateur la folie de sa sœur qu’elle qualifie d’être
« maléfique ».