L’arbre apparaît alors sous ses
trois états comme l’emblème de la vie, mais aussi comme
l’élément mortifère qui cache dans son antre les deux faces
de l’homme : les racines forment un passé dont on ne
peut s’arracher, le tronc solide a la dureté du présent,
les branches et les feuilles font croire à un avenir qui
se déchire dans le bleu du ciel. L’analyse filmique offerte
dans le Cd Bonus va jusqu’à lier avec pertinence le thème
du végétal à la moisissure, duplicité que l’on retrouve
dans les « fleurs de souffre »…
La sécheresse du sol, les clairs-obscurs qui mangent les
visages, les motifs à fleurs sur les drapés, les tentures
et les robes de Kay participent à l’asphyxie de l’espace.
La réalisatrice, comme le remarque Michel Ciment, cultive
une certaine esthétique de la laideur. Les cadrages surprennent
par leur modernité, leur audace. La beauté ressurgit dans
un plan fixe qui n’a alors plus rien à envier à la photographie.
Fêlures et folie
La raison perd ses repères face à la folle du logis,
et Sweetie, si elle n’est pas méchante, trouble ceux qu’elle
entoure de ses réactions imprévisibles et souvent de sa
violence. Entre raison, bonne conscience et culpabilité,
la famille se sacrifie pour elle, y laisse des plumes. Chacun
craque tour à tour, même l’amour à toute épreuve du père
ne cherchera pas à ranimer son monstre de fille lorsqu’elle
tombe enfin de son arbre : la nature finit par reprendre
ses droits et sa créature si imparfaite.
Autour des caractères principaux gravitent des personnages
annexes plus ou moins « fêlés » : Louis médite
à l’importe quelle heure du jour, la mère plaque tout pour
s’installer dans une sorte de ranch, le fils de la voyante
est autiste, et les paysans de la Ferme des Journaliers,
tous un peu singuliers…Jane Campion campe ses portraits
d’hommes et de femmes dans une réalité quotidienne dont
elle fait sa matrice.
La folie de Dawn soulève des questions existentielles :
où se limite le normal ? Qu’est-ce qui est réel et
qu’est-ce qui ne l’est pas ? Dawn fait le chien et
aboie sur son « maître » qui joue le jeu pour
l’amadouer…on en arrive à se demander qui, des deux, est
le plus normal. Humour et ironie rendent touchant ce portrait
de femme et cette peinture d’une famille perturbée. Les
dialogues oscillent entre réalisme et surréalisme, pour
recouvrir d’une couleur tragi-comique ce premier succès
de Jane Campion qui, rappelons le, ne fit pas l’unanimité
des critiques lors de sa sortie en salle.
Titre : Sweetie Réalisation :
Jane Campion Acteurs : Genevieve
Lemon, Karen Colston, Tom Lycos, Jon Darling,
Dorothy Barry, Michael Lake Éditeur : Studio Canal
/ Carlotta Films Sous-titres : Français Année : 1989 Durée : 97 min
Bonus : Entretien avec Michel Ciment
(rédacteur en chef de Positif) et analyse
filmique consacrée au thème du végétal (« Fleurs
de soufre »)