Mais alors, pourquoi ne pas avoir parlé
davantage, non pas de la vie de ces hommes, mais de leurs
racines, de leur culture, de leur discours. En s’attachant
scrupuleusement aux dates, Wenders s’est laissé emporter dans
une histoire rectiligne où il n’est jamais question d’héritage
ni d’influences. Il peut y avoir un intérêt à traiter de manière
isolée le cas de trois grand bluesmen, mais alors on doit
bien se garder d’en faire les principales figures d’un mouvement
dont on ne prend pas la peine de nommer les autres membres.
À trop vouloir mêler la petite et la grande histoire, Wenders
maîtrise mal son propos, prend le risque de se frotter à d’autres
voix, plus avisées et vibrantes que la sienne. Ainsi, si des
écrivains comme Greil Marcus ou encore Nick Tosches se sont
illustrés par leurs écrits sur le rock et leur approche particulière
de ce mouvement (en deux mots, décrypter l’histoire à la lumière
du rock), ils ont également parlé du blues, de la culture
dont il procède, des thèmes qu’il traite, de l’influence considérable
qu’il a eu sur le rock. Il ne nous importe pas ici de dire
qui a le mieux traité le sujet du blues, ni même comment.
La seule chose qu’on puisse en définitive reprocher à Wim
Wenders est de n’avoir pas su, pour un sujet aussi difficile
(car en apparence simple à traiter), riche et fragile que
le blues, adopter une démarche conséquente soit directement
en prise avec la musique elle-même, soit avec l’histoire de
celle-ci.
Une telle démarche était pourtant possible : d’autres,
à l’instar de Mika Kaurismaki dans son Moro No Brazil,
ont montré l’exemple, en se proposant de comprendre non seulement
quelles étaient les diverses sources de la samba (le documentaire
conserve toujours une part informative), mais également en
ajustant l’image à la musique, en filmant de manière à ce
que le corps, le rythme, la foule raisonnent et créent un
sens, par la musique, jusque dans l’image. Mika Kaurismaki
parvient ainsi à éclairer une musique à la lumière de la communauté
qu’elle crée. Que le blues soit une musique plus solitaire
et tourmentée que ne l’est, la samba n’est pas la question.
L’important réside dans un seul et unique point : si
les cinéastes prennent le risque de prendre la musique pour
seul et unique objet, alors ils doivent adapter leurs méthodes
à ce nouvel objet pour en servir le plus justement la cause.
Le film de Wim Wenders n’est donc pas
une réussite. Gageons toutefois que les 6 autres films de
la série consacrée au blues (produite par Martin Scorsese)
nous réserveront de bonnes surprises, tant la liste des noms
avancés (Clint Eastwood, Martin Scorcese, Mike Figgis, Charles
Brunette notamment) s’annonce prometteuse.
Titre : The soul of a man Réalisateur : Wim Wenders Scénario : Wim Wenders Musiciens : Beck,
T-Bone Burnett, Shemekia Copeland, Eagle eye Cherry,
vernon Reid, Nick Cave, Alvin Youngblood Hart,
Garland Jeffries, Chris Thomas King, Los Lobos,
John Mayall, Lou Reed, Marc Ribot, The Jon Spencer
Blues Explosion et Lucinda Williams, Cassendra
Wilson. Directrice de la photographie
: Lisa Rinzler Montage : Mathilde
Bonnefoy Directeurs de la production :
Samson Mûcke, Paul Marcus Productrice associée :
Belinda Clasen Sortie le : 14 Janvier
2004 Durée : 1h 45mn Pays : Allemagne Année : 2003