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Si Guiraudie s’amuse avec un plaisir
certain des « vases communicants » chers aux surréalistes
André Breton et Philippe Soupault afin que le réel s’habille
des étoffes évanescentes du rêve et que le rêve apparaisse
plus réaliste que le réel, il use de vases identiques afin
que certains acquis stylistiques de sa veine la plus bariolée
et la plus délurée (fantaisiste mais pas absurde) soient
reversés du côté des œuvres qui s’inscrivent dans un territoire
plus prosaïque, diminué sur le plan du mythe comme tout
simplement du récit, avec immédiatement pour premier problème
d’atténuer la vitalité des deux veines par leur immixtion
pas toujours heureuse. Pas de Repos pour les Braves n’est
ni aussi original que Du Soleil pour les Gueux, ni
aussi politique que Ce vieux rêve qui bouge. Un peu
l’un, un peu l’autre, guère plus. Guère mieux, le croisement
opéré ici par ce (moyen) long métrage ne valant jamais l’addition
des qualités des deux moyens (métrages) précédents (on constaterait
même une entropie).
L’application systématique avec laquelle Guiraudie mouline
des bras (et brasse du vent, certes frais, mais cela demeure
du vent) en citant intégralement tous ses courts et moyens
métrages indiquerait que celui-ci commence déjà à ressasser,
à piétiner, à tourner en rond (à l’instar du protagoniste)
dans un auteurisme étriqué et narcissique qui a pour désavantage
de ralentir lourdement l’œuvre de défrichage d’un territoire
cinématographique pourtant parmi les plus singuliers que
le cinéma français ait donné ces dernières années (d’où
nos sévères critiques). On est alors moins dans l’invention
à proprement parler que dans la citation, la redite (même
si) ludique, la reprise (même si) parodique et loufoque,
moins dans une modernité défricheuse que dans un post-modernisme
un peu desséché.
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Si bien que, aux deux tiers du film,
l’arbitraire dont use Guiraudie afin de tordre les conventions
narratives et les codes intrinsèques aux genres dont il
emprunte les corridors (le fait divers, le film d’aventures,
le western, le film noir, le naturalisme français, le film
fantastique, le kitsch homo…) ne surprend plus du tout à
force de vouloir tout le temps surprendre et donc finit
par lasser. Aucune nécessité ne paraît sous-tendre de pareilles
déviations, bifurcations ou retours en arrière, si ce n’est
la logique d’un rêve qui s’étiole et meurt, faute de pouvoir
toujours tenir…éveillé le spectateur. Mulholland Drive
(2002) de David Lynch, modèle (plutôt que référence) contemporain
évident que s’est choisi Guiraudie, est encore loin (et
ce n’est de plus pas vraiment pas le meilleur film du cinéaste
puisqu’il souffre exactement des mêmes problèmes que le
film de Guiraudie). L’accumulation frénétique, vitaminée,
de micro-scénarii visant à doper le récit d’une subjectivité
ballottée à l’intérieur d’elle-même et en rupture avec son
monde ne sauve jamais l’affaire ; au contraire, elle
précipite un désintérêt croissant à mesure que le film roule,
sans d’ailleurs pouvoir retrouver l’allure initiale. C’est
toute la question du rythme : celui pratiqué par Buñuel,
atonal, convient aux replis caverneux de l’inconscient (en
terrain lisse, la rupture frappe) quand l’action requise
par les genres auxquels Guiraudie fait énergiquement appel
épuise la mollesse propre au rêve, biseaute par la vitesse
les saillies que sont les discontinuités irrationnelles.