Après s’être extrait brillamment
des sentiers battus lors de ses précédents films, il faudrait
que Guiraudie, désormais prisonnier de son paysage mental,
apprenne alors à sortir de ses propres sentiers devenus
comme des gonds et surtout, contrairement au personnage
de Basile, ne jamais vouloir rentrer à la maison (puisque
de maison, on le sait, de John Ford à Manoel de Oliveira,
il n’y a plus). Repeindre avec des couleurs acidulées Regain
de Jean Giono ou lacérer par des riffs punk les scènes de
bistrot méridionales (très belles, très fluides) de Marcel
Pagnol, c’est bien, c’est marrant, c’est frais, c’est jeune.
Repenser la question de la parole contrecarrant tout effet
de naturalisme (incroyable est la précise et précieuse netteté
avec laquelle on s’exprime chez Guiraudie : il n’y
a que chez Eric Rohmer pour entendre parler aujourd’hui
le français comme cela mais, à la différence de ce dernier,
ce sont les classes dépossédées qui parlent ainsi et aussi
bien que les classes possédantes), reposer la question du
corps et du territoire, c’est-à-dire de la trajectoire au
cinéma (d’autant plus quand le territoire est français),
avec pour horizon Buster Keaton, c’est mieux. D’accord pour
boire un diabolo avec le cinéaste (même si on regrette l’importance
trop grande laissée au sirop), mais on aimerait bien que
la prochaine fois des liquides plus « spiritueux »
se substituent au soda pétillant, que les couleurs franches
succèdent vraiment aux couleurs seulement pimpantes et que,
sans n’avoir plus à être obligé de prouver la pétulance
de son savoir-faire, Guiraudie aille voir ailleurs s’il
n’y est pas plutôt que d’aller voir, comme ici, s’il y est
déjà, s’il y est toujours (et il y n’est visiblement que
trop bien).
La chanson est pourtant bien connue : “Hit the road
Jack and don’t you come back no more”
Titre : Pas de repos pour les braves Réalisateur : Alain
Guiraudie Acteurs : Thomas Suire,
Laurent Soffiati, Thomas Blanchard, Vincent Martin Scénario : Alain Guiraudie Photo : Antoine Héberlé Musique : Teppaz et
Naz Orchestra Production : Paulo Films Festival : Cannes
2003 – Quinzaine des réalisateurs Distribution : Haut
et Court Sortie le : 12 Novembre
2003 Durée : 1h 48mn Pays : France Année : 2003