SYNOPSIS :
Krimo est amoureux de sa copine de classe Lydia. D’un naturel
réservé, il éprouve des difficultés à lui déclarer ses sentiments.
Lydia quant à elle ne songe qu’à préparer la représentation
d’une pièce de Marivaux, le Jeu de l’amour et du hasard.
Alors que Lydia joue le rôle de Lisette, Krimo se met en tête
de jouer Arlequin. |
....................................................................
|
POINT DE VUE
|
 |
|
|
Il n’est guère original d’adapter Marivaux
aujourd’hui. Son actualité n’est plus à démontrer et son exemplarité
évidente pour qui désire mettre à jour l’implacable logique
des classes sociales. Mais l’Esquive ne se contente
pas d’adapter Marivaux. Loin en effet d’en reprendre seulement
l’histoire et les principales formes (la drôlerie des conversations
entre Lisette et Arlequin notamment), Abdellatif Kechiche
confronte plusieurs langages, cherche le point de tension
où les mots, prenant corps dans une autre parole, deviennent
le véhicule d’une autre existence, le moyen d’un autre être
au monde. C’est là le premier pari réussi du film, faire de
l’art (et plus précisément du théâtre) le lieu par excellence
pour réinventer soi-même et dans le même temps la relation
à l’autre. Confrontés à une autre époque et à d’autres codes
linguistiques, les adolescents des banlieues (ici l’origine
géographique a valeur d’identité), se heurtent à quelque chose
qui relève à la fois de l’anachronisme absurde et de l’obstacle
indépassable. Bien qu’ils n’aient parfois pas l’entière intelligence
des textes qu’ils disent, ils sentent qu’ils doivent, comme
le dit l’enseignante dans le film, sortir d’eux-mêmes. La
caméra scrute ainsi cette lisière de l’être que les adolescents
sont sommés de franchir. Filmant les visages et les corps
toujours à bout portant, elle guette l’incapacité du langage
à les faire accoucher. Constamment agrippés les uns aux autres,
ils butent obstinément sur des fragments de phrase ou de mots
répétés en boucle et lâchés comme des salves absurdes. Le
bruit, la redondance priment dans les dialogues et les corps
gesticulent comme pour mieux dire leur impuissance dans un
espace clos sur lui-même.
|