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L'Esquive (c) D.R. FESTIVAL ENTREVUES
BELFORT 2003

L’ESQUIVE

d’Abdellatif Kechiche
Par Matthieu CHEREAU


SYNOPSIS : Krimo est amoureux de sa copine de classe Lydia. D’un naturel réservé, il éprouve des difficultés à lui déclarer ses sentiments. Lydia quant à elle ne songe qu’à préparer la représentation d’une pièce de Marivaux, le Jeu de l’amour et du hasard. Alors que Lydia joue le rôle de Lisette, Krimo se met en tête de jouer Arlequin.

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POINT DE VUE

  L'Esquive (c) D.R.
Il n’est guère original d’adapter Marivaux aujourd’hui. Son actualité n’est plus à démontrer et son exemplarité évidente pour qui désire mettre à jour l’implacable logique des classes sociales. Mais l’Esquive ne se contente pas d’adapter Marivaux. Loin en effet d’en reprendre seulement l’histoire et les principales formes (la drôlerie des conversations entre Lisette et Arlequin notamment), Abdellatif Kechiche confronte plusieurs langages, cherche le point de tension où les mots, prenant corps dans une autre parole, deviennent le véhicule d’une autre existence, le moyen d’un autre être au monde. C’est là le premier pari réussi du film, faire de l’art (et plus précisément du théâtre) le lieu par excellence pour réinventer soi-même et dans le même temps la relation à l’autre. Confrontés à une autre époque et à d’autres codes linguistiques, les adolescents des banlieues (ici l’origine géographique a valeur d’identité), se heurtent à quelque chose qui relève à la fois de l’anachronisme absurde et de l’obstacle indépassable. Bien qu’ils n’aient parfois pas l’entière intelligence des textes qu’ils disent, ils sentent qu’ils doivent, comme le dit l’enseignante dans le film, sortir d’eux-mêmes. La caméra scrute ainsi cette lisière de l’être que les adolescents sont sommés de franchir. Filmant les visages et les corps toujours à bout portant, elle guette l’incapacité du langage à les faire accoucher. Constamment agrippés les uns aux autres, ils butent obstinément sur des fragments de phrase ou de mots répétés en boucle et lâchés comme des salves absurdes. Le bruit, la redondance priment dans les dialogues et les corps gesticulent comme pour mieux dire leur impuissance dans un espace clos sur lui-même.