Divisé en deux parties distinctes,
le film se présente au départ de manière déconstruite, fragmentée,
à l’image des pièces mélangées du casse-tête. Puis, sous
l’influence du voyage de la seconde partie, il tend vers
une construction plus nette, une forme pleine, au sens de
la plénitude. Cette structure sophistiquée s’explique par
la volonté du cinéaste de figurer l’impact intempestif du
temps et du souvenir. Nishi est un ex-policier qui vit dans
la douleur du passé à cause de la mort de sa petite fille
et d’un de ses collègues, tué au cours d’une interpellation.
Ce traumatisme, Kitano l’exprime à travers un conflit narratif
entre différentes temporalités (passé et présent) qu’il
est difficile de démêler tout au long de la première partie.
En bouleversant la chronologie des événements, en désorientant
les actions à partir de la scène primitive de l’arrestation
manquée, il traduit une conscience meurtrie, jamais en paix,
celle de Nishi et de son ami et coéquipier, Horibe, paralysé
depuis une opération qui a également mal tournée. Grâce
à un montage différé que l’on pourrait appeler aussi « rime
à distance », il fait se correspondre en écho différentes
actions ou émotions appartenant à chacun d’eux et qui évoquent
à chaque fois l’accablement du souvenir. Tout événement
relatif au présent supposé de l’action est systématiquement
perturbé par les effets diffus de la mémoire.
Dans sa deuxième partie, en revanche,
Hana-bi s’ouvre sur une certaine linéarité narrative
en phase avec le thème du voyage, celui que décide d’effectuer
Nishi pour le bien de sa femme victime d’une maladie incurable.
Dès lors, le film va se transformer en récit initiatique
au sein d’une forme plus contemplative, à la mesure d’un
cheminement géographique et mental. Ce que Nishi et sa femme
tentent de retrouver le long des routes est en définitive
la magie et la douceur de l’état d’enfance, à travers des
jeux ou des poses méditatives, comme une façon de rejoindre
l’enfant perdu à la lumière d’un cycle accompli (c’est le
sens de la dernière séquence sur la plage, avec la petite
fille qui joue au cerf-volant). Parallèlement à ce premier
voyage, se déroule celui qu’Horibe, paralysé à vie, a décidé
d’entreprendre sur le territoire de l’inspiration artistique.
Après son accident, il a choisi d’occuper son temps à la
peinture et au dessin. A travers ce personnage, Kitano place
son film sous l’influence de l’art et rejoint en l’occurrence
la grande tradition philosophique orientale qui s’appuie
sur la recherche de la plénitude et de l’harmonie entre
l’artiste et le monde, lorsque la réalité seule donne matière
à la création et entraîne la fusion avec la nature. Dans
Hana-bi, le monde est une harmonie en soi qu’il s’agit
de projeter sur une toile (un écran de cinéma ou du papier)
selon une construction unifiante de la pensée. Cela implique
un respect absolu du cosmos qui structure la vision. Dans
cette partie du film entièrement dévolue à la contemplation
et à la sensation pure, les personnages se fondent dans
l’espace, se complètent perpétuellement grâce à un montage
parallèle de causalité poétique, et ne font plus qu’un,
soudés par la prééminence de la mort et du suicide. Chez
eux, la certitude de la mort prochaine n’est pas pensée
en termes excessivement tragiques. Comme le reste, elle
fait partie intégrante de l’expérience humaine, elle est
même un art de vivre. Chacun l’accepte avec un stoïcisme
très représentatif de la culture orientale. Elle permet
de ressentir le monde dans un au-delà des formes sensibles.
A la fin du film, le ciel et la mer, ultime tableau monochrome,
absorbent définitivement l’âme de Nishi et sa femme pour
quelques secondes de silence éternel avant que les rumeurs
du monde terrestre ne recouvrent de nouveau l’écran.
A la fois film de genre décanté et épiphanie mélancolique,
Hana-bi est une invitation à la rêverie et aux émotions
universelles.
2003Zatoichi avec Takeshi Kitano,
Tadanobu Asano 2002Dolls
avec Hidetoshi Nishijima, Miho Kanno 2000Aniki, mon
frere / Brother avec Takeshi Kitano, Omar
Epps 1999L’Eté
de Kikujiro / Kikujiro avec Y. Sekiguchi,
K. Kishimoto 1997Hana-Bi 1996Kids Return
avec Masanobu Ando, Ken Kaneko 1995Getting any
? 1993Sonatine,
mélodie mortelle avec Takeshi Kitano, Aya
Kokumai 1991A Scene at
the Sea avec Kuroudo Maki, Hiroko Oshima 1990 Jugatsu 1989Violent Cop
/ Sono Otoko Kyobo ni Tsuki avec T. Kitano,
S. Sano