POINT DE VUE
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Pen-ek Ratanaruang est un cinéaste
dont le travail, à l’instar de ses collègues Nonzee Nimibutur
et Apichatpong Weerasethakul, traverse les frontières de
son pays, la Thaïlande, et les limites plus vastes du continent
asiatique pour parvenir jusqu’aux écrans européens. Son
précédent film, Mon-Rak transistor, fut rappelons-le
distribué en France en 2003. Mais avant lui, Ratanaruang
avait fait les preuves, et ce dès son premier long métrage
(Fun Bar Karaoke, 1997), d’un talent de conteur remarquable,
rehaussé d’un humour amer des plus coupants et d’un goût
prononcé pour les calembours narratifs : ces composantes
de style se résolvent dans une profonde empathie pour ses
personnages ; une caractéristique qu’il partage avec
Quentin Tarantino, dont il est l’un des « héritiers »
les plus talentueux, et que Ratanaruang prend un réjouissant
plaisir à citer, ou parodier. On retrouve ainsi dans son
travail l’idée d’un autisme social qui serait la marque
des habitants des sociétés urbaines contemporaines, juste
armés de clichés de cinéma pour affronter l’âpreté des 1000
tours de la vie, et confrontés à leur fascination pour des
mythes populaires (gangsters, créature de la nuit), censé
détenir une vérité « primitive » sur un monde
devenu trop vite hostile et violent : une rencontre qui
ne se résout que dans l’anéantissement raisonnable des fantasmes
héroïques.
Mais, dans ce premier film, se manifestait déjà un désir
de plaire un peu trop prégnant chez son cinéaste :
goût de la belle image, et virtuosité gratuite dans la maîtrise
de la narration. En soi ce n’est pas un mal, mais lorsque
M. Ratanaruang ne veut pas plaire, il fait un film comme
6ixtnin9, son deuxième long métrage, qui est un bijou
d’humour macabre, plein de stupeur devant sa propre cruauté :
un conte urbain où une jeune femme dissimule dans son appartement
les cadavres qui s’y accumulent pour les raisons les plus
futiles, tandis que la dépression qui l’agite lui inspire
des fantasmes suicidaires, et que se déchaînent alentour
des forces primitives, affrontement de gangsters et de policiers,
dans un retour à la barbarie qu’encourage la grande ville.