L'implication qu'il a mise pour
ce rôle de boxeur amateur rappelle les pratiques hollywoodiennes.
Notamment dans un investissement physique qui renvoie à
de célèbres références. Mais là où Daniel Brühl fait vraiment
fort, c'est qu'il ne se repose pas sur des heures de musculation
pour interpréter son personnage. Il lui donne une dimension
plus qu'archétypale en insistant sur les failles de ce Marko
qui voudrait tellement passer du statut de boxeur à celui
de professionnel pour se détacher d'un environnement familial
en désagrégation. Daniel Brühl puise dans sa propre jeunesse,
dans son visage de poupin qui en fait une sorte de perpétuel
adolescent pour construire un personnage complexe, mélange
de force et de faiblesse. Démarche qu'il a également suivi
dans Good Bye Lenin ! en rendant multiface ce fils
devant faire face à l'amnésie de sa mère.
Bien sûr, Cœur d'éléphant ne se résume pas à un seul
élément, aussi doué soit-il. La réalisation de Züli Aladag
instaure un climat intéressant. Assez réaliste, en particulier
dans les scènes de combats de boxe, brut de décoffrage,
évitant les habituelles fioritures stylistiques qui font
joli sans toutefois faire sens. Les couleurs froides renforcent
cette sensation de rudesse. On pense aux films de gangsters
à l'américaine, avec ce bar louche où se retrouve poivrots
et membres du milieu, avec une petite description du fonctionnement
mafieux (salle de boxe, paris, rackets, tabassage des mauvais
payeurs, blanchiment d'argent sale dans l'immobilier...).
À noter aussi une très belle scène sur les toits, un peu
à la Jarmusch, et l'entrée dans le champ de la minorité
turque allemande, ce qui est rare dans les productions germaniques
classiques mais pas étonnant pour un réalisateur lui-même
originaire d'Anatolie.
Globalement, Cœur d'éléphant est un film moyen, chutant
sur un scénario loin d'être transcendant. Ainsi, la description
de la limite bien-mal est un peu simpliste, voire moralisatrice.
Le personnage du manager de boxe est univoque, le mal personnifié
juste teinté d'humanité par le fait qu'il soit le père naturel
du héros. Et puis, finalement, l'épilogue ne suscite pas
véritablement d'intérêt. On sent rapidement que le personnage
principal va prendre le bon chemin et s'écarter du mauvais.
Reste donc une ambiance intéressante mi-film social, mi-film
de genre. Et surtout Daniel Brühl, qui débute une filmographie
qui s'annonce longue et pleine de succès. À condition qu'il
ne cède pas trop vite aux sirènes hollywoodiennes qui vont
rapidement résonner à ses jeunes oreilles.
Titre : Cœur d’éléphant / Elefantenherz Réalisation : Züli Aladag Scénario : Züli Aladag,
Jörg Tensing Acteurs : Daniel Brühl,
Manfred Zapatka, Jochen Nickel, Angelika Bartsch,
Erhan Emre, Jana Thies Direction de la photographie
: Judith Kaufmann Montage : Andreas Wodraschke Musique : Eckart Gadow Décors : Ruth Wilbert Producteur : Annette
Pisacane Production : CAMEO Film
und Fernsehproduktion Prix : Prix Max
Ophuls du festival de Sarrebruck 2002, Prix bavarois
du cinéma 2003 Festival de Montréal 2003